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Les créoles
Page réalisée en collaboration avec Michel Launey et Alain Kihm, 2009.
Les langues créoles sont exceptionnelles par les conditions de leur formation, qui les place à l’extérieur de la classification génétique des langues communément admise. Alors que la majorité des langues sont le produit d’une transmission régulière de génération à génération, accompagnée de changements plus ou moins importants à chaque transmission, les créoles apparaissent comme le produit d’une rupture (une population entière est amenée à renoncer à sa langue d’origine) et d’un contact (avec une nouvelle langue, qui est profondément transformée). Autrement dit, contrairement à toutes les autres langues, les langues créoles sont apparus à une date historique, souvent fixée à une cinquantaine d’années près.
Il y eut plusieurs sortes de contacts conduisant à cette apparition. S’agissant des créoles de plantation des Antilles, les plus communément connus, le contact fut extrêmement brutal : il se traduisit par la déportation outre-Atlantique de centaines de milliers de personnes réduites en esclavage, dans des conditions matérielles et morales épouvantables. Ces Africains et Africaines qui parlaient à l’origine des langues différentes, furent ainsi forcés de reconstruire une société nouvelle qui avait besoin d’une langue commune. Comme aucune langue africaine n’était dans une position hégémonique, seule la langue des maîtres pouvait servir de point de référence commun. Mais le contact avec cette langue se faisait, non à travers un apprentissage dépassionné, mais à travers les conditions brutales du travail servile : le vocabulaire passe, mais pas la grammaire.
Dans d’autres cas – créoles apparus en Afrique même, créoles de l’Océan Indien et du Pacifique, qui n’ont pas ou dans une moindre mesure l’esclavage à leur principe – le contact fut moins violent, mais il provoqua à chaque fois cette rupture nécessaire pour qu’un créole émerge, rupture toujours au moins sociale et culturelle, parfois aussi géographique.
En conséquence, les langues créoles présentent une double caractéristique :
- leur vocabulaire est en majeure partie issu d’une langue de colonisation : c’est pourquoi on parle de créoles anglais, arabes, espagnols, français, néerlandais et portugais (ou encore de base lexicale anglaise, etc.).
- en revanche, leurs grammaires sont notablement différentes et issues d’un processus de restructuration, dans lequel interviennent plusieurs facteurs : les grammaires des langues d’origine, les constantes des situations de contact linguistique et de l’apprentissage de langues secondes « sur le tas », les propriétés universelles du langage humain.
La grammaire des langues créoles est donc d’un intérêt majeur pour la linguistique et les sciences cognitives.
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Pour en savoir plus :
- Questions autour de la genèse des langues créoles, par Marie-Christine Hazaël-Massieux
- Le créole haïtien : une lente montée en puissance, par Fritz Berg Jeannot
- D’Afrique de l’Ouest aux Antilles, des créoles portugais dynamiques, par Nicolas Quint
- Le papiamentu, un créole qui se porte bien, par Bart Jacobs