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Compter dans sa langue pour mieux compter dans l’autre
Posté par Gérard Lavigne le 7 novembre 2010
Gérard Lavigne est professeur de mathématiques depuis 1978. Il a entrepris une recherche-action sur « la compréhension des difficultés d’accès aux concepts et aux filières scientifiques des enfants kanaks et océaniens de Nouvelle-Calédonie ».
Membre du Centre des Nouvelles Etudes sur le Pacifique (CNEP), il assure un enseignement de sensibilisation à l’ethnomathématique pour les étudiants de Langues et Cultures Océaniennes à l’Université de Nouvelle-Calédonie.
Pour une approche ethnomathématique du nombre à l’école de Nouvelle-Calédonie
Les mathématiques sont, certes, universelles mais l’enseignement des mathématiques développé dans une culture donnée au travers de sa langue est-il universel ? La question se pose de façon très concrète en Nouvelle-Calédonie : peut-on y reproduire à l’identique l’école française? Les résultats de cette reproduction, in extenso, montrent que plus de 20% des enfants kanak et océaniens sortent de cette école sans diplôme. Les exemples ne manquent pas pour montrer qu’ils sont nombreux à arriver en 6ème sans avoir construit un rapport positif au nombre, bien au contraire.
Un élément d’explication est sans doute le fait que ces enfants n’y apprennent à compter qu’en français, langue qui n’est pas la langue maternelle de la majorité d’entre eux. Or, la langue française, qui n’est pas transparente pour la lecture (avec une orthographe souvent en grand décalage avec la prononciation), ne l’est pas non plus pour la numération. Le français mélange les bases 10 et 20 avec de très nombreuses irrégularités et rend la construction d’un rapport positif au nombre difficile.
Mais qu’en est-il de la façon dont les langues kanak et océaniennes parlent les nombres ?
Les langues polynésiennes, comme par exemple le tahitien, le wallisien, le futunien, le maori ou le samoan, parlent en vraie base 10. Il suffit de 12 mots-nombre pour compter jusqu’à 1 000.
Les langues kanak, quant à elles, parlent généralement en base 20 avec la sous-base 5, régulière. C’est-à-dire qu’à partir de 6, on va dire « 5 et 1 », puis « 5 et 2 » pour 7, etc.
Dans les deux cas, c’est cette régularité qui permet de construire les nombres simplement. Ce qui est une condition très favorable pour l’établissement d’un rapport positif à la numération.
Rémi Brissiaud, spécialiste de la didactique des mathématiques et maître de conférences de Psychologie Cognitive à l’IUFM de Versailles, l’a d’ailleurs très bien établi : « la manière dont les enfants s’approprient le nombre dépend de la façon dont on “ parle ” les nombres dans leur langue, dans la famille, à l’école ».
Ainsi, en apprenant à compter dans sa langue maternelle, l’enfant kanak et océanien pourra, d’une part, construire un rapport positif au nombre. D’autre part, il pourra effectuer le transfert nécessaire pour entrer dans la numération en français. N’est-ce pas ce que l’école, en situation d’interculturalité, devrait rechercher ?