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Les langues kanak à l’école en Nouvelle-Calédonie : un long cheminement
Posté par Jacques Vernaudon le 29 septembre 2011
Jacques Vernaudon est maître de conférences en linguistique océanienne à l’Université de la Nouvelle-Calédonie.
La Nouvelle-Calédonie compte une trentaine de langues vernaculaires, les langues kanak, parlées par un total d’environ 70 000 personnes, selon le recensement de 2009 (population totale : 245 580 habitants).
Les plus importantes sont parlées par quelques milliers de locuteurs et les plus petites par moins d’une centaine.
Elles appartiennent toutes à la famille des langues austronésiennes, une des plus grandes familles linguistiques au monde avec ses 1000 à 1200 langues.
Ces langues sont issues d’une même langue mère qui aurait été parlée sur les côtes du sud de la Chine et à Taiwan il y a plus de 5 500 ans. Partis de ce foyer de migration, les premiers locuteurs ont peuplé d’abord le sud-est asiatique insulaire et péninsulaire, puis ont poursuivi leur expansion, vers l’ouest jusqu’à Madagascar et vers l’est dans l’ensemble du Pacifique insulaire.
Malgré cette origine commune, les langues kanak n’en demeurent pas moins très diverses tant sur le plan du vocabulaire et des sons que de la grammaire.
Une reconnaissance tardive
Longtemps minorées, menacées de disparition au moment des fortes dépopulations qui ont suivi les premiers contacts avec l’Occident au 18e siècle, Les langues kanak ont été officiellement exclues du système éducatif à partir de la colonisation et jusqu’en 1984. Elles n’ont fait l’objet d’une reconnaissance institutionnelle progressive qu’à la suite du mouvement d’émancipation politique des populations autochtones à la fin du 20e siècle.
Désormais reconnues comme « langues d’enseignement et de culture » (loi organique de la Nouvelle-Calédonie, 1999), elles sont intégrées dans les programmes scolaires du premier degré public votés en 2005 par le congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Mais, malgré les moyens disponibles, la mise en place de cet enseignement et son pilotage souffrent encore de nombreuses inerties qui trouvent leurs sources principales dans :
– la complexité structurelle du système éducatif calédonien,
– la résistance idéologique : on oppose à l’enseignement kanak la priorité du français « avant tout », voire celle de l’anglais,
– le refoulement de la réalité plurilingue calédonienne, dont la représentation diffuse peut expliquer certaines attitudes aussi bien au niveau des familles que des équipes pédagogiques et des autorités.
Les langues kanak à l’école maternelle
En 2010, sur les ~9500 élèves scolarisés en maternelle sur l’archipel, 2 000 (soit 21%) ont reçu un enseignement de/en langue et culture kanak (LCK). Cet enseignement est prodigué à raison de 5 heures hebdomadaires au sein du temps scolaire. Il est effectif dans 14 langues, selon l’implantation de l’école.
Les classes LCK sont ouvertes à tous les élèves quelle que soit leur origine, sur la base du volontariat des parents. Les profils des élèves inscrits en classe LCK sont donc très hétérogènes : certains, les moins nombreux, sont locuteurs natifs monolingues de la langue kanak enseignée ; d’autres évoluent dans des environnements bilingues où la langue kanak enseignée (ou une langue apparentée) fait partie de leur vécu quotidien avec le français ; d’autres enfin, les plus nombreux en contexte urbain, ne parlent que le français (ou une variante locale).
A ce jour, l’autorité pédagogique n’a pas donné son aval officiel pour une poursuite de cet enseignement au-delà de la maternelle.
Les obstacles à franchir
L’offre en enseignement LCK est déterminée par au moins trois paramètres :
– la demande des familles (des enquêtes sociolinguistiques révèlent qu’elle est relativement importante),
– la volonté de l’autorité politique et pédagogique provinciale (la Nouvelle-Calédonie est divisée en trois provinces, chacune avec son propre exécutif),
– la disponibilité d’enseignants locuteurs qualifiés.
Pour répondre à ce dernier point, un concours externe spécial de professeurs des écoles, qui prévoit des épreuves en langues kanak, a été créé en mars 2006. Mais le flux des candidats admis est malheureusement encore trop faible (environ deux par an), les épreuves les plus sélectives demeurant celles de mathématiques et de français.
Des dispositifs alternatifs se sont donc développés (recrutement d’intervenants locuteurs, formation continue d’enseignants titulaires locuteurs, etc.) pour compenser ce retard.
Premiers résultats
Les évaluations conduites jusqu’à présent concluent à un apport positif de cet enseignement sur les langues locales, sans effet négatif sur la maîtrise du français, voire avec des effets de transferts positifs vers le français (pour plus d’information, voir le site : www.ecolpom.univ-nantes.fr).
De tels résultats ne peuvent cependant être obtenus qu’à certaines conditions : il convient en particulier de piloter l’enseignement des langues kanak en gestion coordonnée avec celui du français. Il faut aussi sensibiliser les familles et les équipes pédagogiques pour permettre leur adhésion aux dispositifs bilingues. Enfin, la formation et l’accompagnement des enseignants sont un facteur essentiel.