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Suicides, empoisonnement : le coup de colère des amérindiens de Guyane française
Posté par Yves Géry le 15 décembre 2016
Yves Géry, diplômé de l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille, est journaliste d’investigation spécialiste des questions de santé. Il est l’un des auteurs du livre « Les abandonnés de la République – Vie et mort des Amérindiens de Guyane française », publié chez Albin Michel.
Depuis des décennies, les Amérindiens situés à l’intérieur de la Guyane, en forêt amazonienne le long des grands fleuves Maroni et Oyapock, vivent dans des conditions déplorables. Pas d’eau potable ni d’électricité, pas de services publics ni de collège dans les villages, une contamination au mercure parmi les plus élevées au monde, des conditions de vie indignes, pas d’emplois, pas de perspectives.Et au final un taux de suicide 5 à 10 fois plus élevé qu’en métropole, avec des adolescents de 12 ans qui mettent fin à leurs jours.« Abandonnés par la République », les Amérindiens en colère exigent dignité et conditions de vie décentes.
Lors du colloque organisé à Paris au Sénat par la sénatrice Aline Archimbaud le 30 novembre 2016, les Amérindiens de Guyane française ont insisté sur deux facteurs particulièrement inquiétants pour leur santé et leur avenir :
- Un taux de suicide 5 à 10 fois plus élevé qu’en métropole, avec pour particularité le suicide d’Amérindiens très jeunes – 12 à 15 ans pour certains d’entre eux.
- Les orpailleurs clandestins, qui empoisonnent au mercure les cours d’eau et les poissons qui constituent la première alimentation des Amérindiens de l’intérieur.Face à ces deux périls, nombre d’intervenants ont souligné avec force le niveau d’action insuffisant – voire d’inaction dans certains cas – de l’Etat français, dont les Amérindiens sont pourtant des citoyens à part entière.
ECOLES LOINTAINES, JEUNESSE ABANDONNEE, SUICIDE
Ecole primaire inadaptée, « on y perd son identité »
Dans les villages amérindiens, l’école primaire est en langue française, déplore Tiwan Couchili, améridienne teko, qui dénonce le dispositif insuffisant d’intervenants en langue maternelle (ILM) amérindienne et craint que ce dispositif ne soit encore réduit.« L’école n’est pas du tout adaptée à notre façon de vivre, elle fait en sorte que l’on y perde son identité amérindienne », ajoute-t-elle. « Nous demandons une école bilingue français/amérindien ainsi que cela se fait dans d’autres pays proches d’Amérique latine comme au Brésil ou en Colombie, lesquels ont des professeurs indigènes. Comment se fait-il qu’en Guyane française, nous n’en sommes pas encore là ? »
Au collège, « nous considère-t-on encore comme des sous-hommes ?
Aikumale Alemin est membre du peuple Wayana et vit en permanence sur le Haut Maroni, dans un village qu’il a lui-même fondé et qui compte désormais plusieurs familles. Agent de santé, il est l’un des seuls autochtones à occuper ce type de poste, rare dans les villages, et aussi l’un des seuls Amérindiens élus au niveau local.
Il déplore que les jeunes doivent quitter le cocon familial pour aller au collège et « se retrouvent en internat à Maripasoula, à plusieurs heures de pirogue de leur village », isolés et sans surveillance le week-end. Cet internat est présenté comme exemplaire mais « les lits sont pourris, on attend toujours les travaux promis. Je me pose la question de savoir si nous sommes encore, nous autres Amérindiens, considérés comme des sous-hommes ». Il demande aussi que cet internat soit ouvert le week-end afin que les ados ne soient pas «lâchés dans la nature et pour éviter tout comportement à risque ».
Mais surtout, il a lancé courant 2016 une pétition auprès du président de la République française afin qu’un collège soit ouvert au cœur du Haut Maroni, dans le village de Taluen/Twenke. Un tel collège en pays amérindien est réclamé depuis des années. L’objectif est « d’éviter que nos enfants partent, se coupant de leur famille, culture et racines, parce que dans notre culture nos petits se nourrissent de l’histoire de leur peuple pour grandir ; on ne confie pas ses enfants à l’extérieur dans la culture amérindienne, comme cela se fait chez vous dans la culture occidentale».
Au lycée, « certains enfants fuguent et se retrouvent dans la rue »
Même déracinement pour aller ensuite au lycée, souligne Alain Mindjouk, un autre Amérindien Kalina Teleweyu : « Placés en famille d’accueil quand ils arrivent sur le littoral, certains enfants fuguent, d’autres retournent au village ».
Depuis des années il réclame à cors et à cris la construction d’une maison d’accueil pour ces jeunes. « Nous avons envoyé le dossier de demande il y a plusieurs mois, nous attendons toujours la réponse », explique Jean-Philippe Chambrier, coordonnateur général de la Fédération des organisations autochtones de Guyane (FOAG). « C’est un gros souci, les jeunes étudiants amérindiens arrivent sur le littoral et certains d’entre eux se retrouvent dans la rue », il est donc urgent de créer cette infrastructure.
Et puis, du fait de cet éloignement, « ils n’apprennent plus les savoirs ancestraux », souligne encore Alain Mindjouk. Alors, après le collège et le lycée, les jeunes Amérindiens « reviennent au village, mais ils sont agressifs car ils ne savent pas comment se positionner dans la communauté », précise Tiwan Couchili. Souvent sans diplôme, ils sont aussi très souvent sans perspective d’emploi.
Le compte n’y est pas !
Alain Mindjouk rappelle qu’en 2003, il faisait partie du groupe de Brigitte Wyngaarde, première Amérindienne à alerter les pouvoirs publics sur l’épidémie de suicide qui sévissait déjà en pays amérindien à l’intérieur de la Guyane. Il déplore que «l’Etat ait pris 12 ans, jusqu’en 2015, pour comprendre ce phénomène ». Pour lui, ces populations sont plus que jamais abandonnées.
En 2015 Aline Archimbaud et Marie-Anne Chapdelaine s’étaient vues confier par le Premier ministre une mission pour prévenir les suicides chez les Amérindiens. Elles avaient préconisé 37 mesures. Un an après la publication de leur rapport, Aline Archimbaud observe que le compte n’y est pas. En particulier, « je note que la question de l’internat de Maripasoula n’est pas réglée, c’était pourtant l’une de nos mesures-phare. Je sors de cette conférence en étant consciente de tout ce qui bloque », regrette-t-elle.
Le constat d’Alain Mindjouk est amer : « Trop de constats, trop de chiffres, trop de rapports », mais pendant ce temps-là sur le terrain, « rien n’a changé ».
ORPAILLAGE CLANDESTIN ET CONTAMINATION AU MERCURE
« Un furoncle sur le nez de la France »
L’orpaillage clandestin continue de faire des ravages. « Ma grand-mère a reçu une balle perdue » suite à un affrontement dû à la présence d’orpailleurs clandestins en pays wayana, rappelle l’artiste Tiwan Couchili, qui s’interroge sur le suivi et les moyens mis en œuvre pour éradiquer l’orpaillage illégal.
« J’étais sur le Haut-Maroni le 29 novembre 2016 », témoigne la députée guyanaise Chantal Berthelot, « nous avons sur le fleuve 12 barges, à l’intérieur de la Guyane, en train de pratiquer de l’orpaillage illégal ! ». Ces barges clandestines en bois sont assemblées sur place, elles siphonnent le lit de la rivière à la recherche d’or. Sur la rivière Waki-Tampoc, « c’est visible, c’est un furoncle sur le nez de la France ».Jean-Philippe Chambrier dénonce : « Cela fait plus de 25 ans que nous interpellons l’Etat français, force est de constater qu’il n’y a pas grand-chose qui bouge ». Sur l’orpaillage clandestin, « l’Etat est incapable de faire régner l’autorité, quand la nuit arrive, les barges flottantes d’orpaillage illégal traversent la rivière pour s’installer du côté français du fleuve ».
« Une honte de laisser cette population empoisonnée par le mercure »
L’Organisation des nations autochtones de Guyane (ONAG) et l’association Solidarité Guyane ont déposé un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Cayenne, portant sur la contamination des Amérindiens par le mercure. Elles estiment en effet qu’il y a carence des autorités à prendre des mesures propres à faire cesser les incidences de l’orpaillage illégal sur la santé des populations.
Le 19 novembre 2015 le tribunal administratif de Cayenne a rejeté ce recours, au motif notamment que les associations requérantes n’auraient pas démontré « l’existence du caractère direct et certain de ce préjudice résultant pour elles de la faute commise par l’Etat ». Les Amérindiens du Haut-Maroni contaminés à des niveaux de mercure supérieurs au plafond de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est-à-dire la majorité des habitants dans tous les villages, apprécieront. Les associations ont fait appel de cette décision devant la cour administrative de Bordeaux.
Alexandre Sommer, secrétaire général de l’ONAG, s’insurge : « C’est une honte que de laisser cette population empoisonnée par le mercure ».
LA DIGNITE EN QUESTION
Un Conseil consultatif privé de moyens
L’une des mesures les plus fortes du rapport Archimbaud-Chapdelaine était de fournir des moyens au Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengues (CCPAB).
Jocelyn Thérèse, président de ce conseil, en dresse le bilan : « Le conseil a été créé en 2007. Nous nous sommes rendu compte que nous ne disposions pas des moyens nécessaires pour fonctionner correctement. Depuis, nous avons formulé des propositions, lesquelles, en grande majorité, n’ont pas été prises en compte ». Récemment, explique-t-il, la préfecture a refusé de prendre en charge les frais de fonctionnement et déplacement des membres du conseil pour une réunion importante à Camopi, finalement « c’est la commune qui a payé ».Officiellement, ce conseil va enfin être doté des moyens nécessaires : après des années de diète, une enveloppe de 50 000 euros est évoquée. C’est crucial pour Jocelyn Thérèse, parce que « l’on ne peut pas être soumis au chantage » concernant le financement du conseil, « il nous faut donc impérativement une autonomie financière ».
Consultation gynéco en plein air… derrière un drap
Le chantier reste immense et il faudra commencer par restaurer la dignité des Amérindiens. Ainsi par exemple dans les villages d’Elahé et de Kayodé sur le Haut-Maroni, les consultations gynécologiques des femmes amérindiennes se déroulent… derrière un drap sous le carbet communal ouvert à tous les regards. C’est seulement fin 2016 que les pouvoirs public ont rappelé leur engagement solennel – cela a été fait lors de ce colloque – à construire un local fermé pour recevoir les femmes en consultation. Mais pourquoi donc aura-t-il fallu attendre tant de temps ?