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Cessons d’enfermer les Mayas dans leurs pyramides !
Posté par Valentina Vapnarsky le 29 novembre 2011
Valentina Vapnarsky est Chercheur en Anthropologie Linguistique au CNRS et Directrice du Centre d’Enseignement et Recherche en Ethnologie Amérindienne du LESC (CNRS & Université Paris Ouest) http://erea.cnrs.fr/

Temple maya (cc) Bernt Rostad
A l’heure où l’on met en exergue les prophéties mayas de fin de cycle calendaire, et où les joyaux des Mayas préhispaniques sont admirés dans les grands Musées internationaux, il est utile de rappeler que les Mayas sont encore bien vivants, riches d’une diversité linguistique et culturelle remarquable, présents sur une aire qui va s’étendant, de leurs territoires d’origine vers le nord du continent américain.
Un peuple résistant
Résistants et dynamiques malgré cinq siècles de colonisation et d’oppression brutales, et malgré les attraits et pouvoirs de l’impétueuse modernité, ils ont su continuellement recréer de nouvelles marques d’identités. Les crises qui ont parcouru les siècles de la civilisation maya témoignent d’une profonde résilience.
Mais malgré cette capacité à se renouveler, de nombreuses langues mayas, et avec elles le savoir culturel de ceux qui les parlent, se trouvent aujourd’hui dans une situation de fragilité alarmante. Elles sont pourtant au seuil d’acquérir enfin la reconnaissance nécessaire à leur redéploiement.
Des langues très anciennes et très diverses
Les langues mayas, que l’on fait remonter à 4500 ans environ, ont divergé et évolué chacune à leur façon au fil des siècles. Il n’existe pas d’intercompréhension entre la plupart d’entre elles, même si elles partagent la majorité de leurs racines lexicales et des traits grammaticaux et phonologiques communs. Une telle diversité linguistique, associée à une grande variété dialectale, est rare pour un territoire relativement limité, concentré sur 340 000 m2 de hautes et basses terres, au nord de l’Amérique centrale.
La localisation des groupes mayas sur cette aire n’a cependant jamais été stable. Les Mayas ont connu d’importantes migrations, dues le plus souvent à des événements dramatiques. Les plus récentes font suite aux massacres de populations indiennes au Guatemala dans les années 80, à la répression du mouvement zapatiste de 1994 au Mexique, à l’appauvrissement des terres et à la violence des cartels de la drogue.
Des centaines de milliers de mayas de diverses origines (mam, k’anjobal, q’iche’, tojolabal, q’eqchi’, popti, kaqchikel…) ont fui du Guatemala au Mexique ; du Chiapas (tseltal, tzotzil, chol, …) vers la péninsule du Yucatan; des zones rurales vers les grands centres urbains et touristiques ; depuis Cancún jusqu’aux États-Unis. On compte ainsi à l’heure actuelle près de 250 000 locuteurs de langues mayas aux États-Unis. Et des villes ou villages où plus d’une demi-douzaine de ces langues se côtoient !
Des situations contrastées
Sur la trentaine de langues mayas dont nous ayons connaissance à l’époque de la conquête, 29 sont encore parlées par un total de près de 6 millions de locuteurs. Leurs vitalités sont pourtant très contrastées : l’itza’ et le tz‘utujil se meurent avec une poignée de locuteurs âgés, alors que près de 800 000 personnes s’expriment en yucatèque et plus de 400 000 en q’eqchi ou en mam. Mais ces chiffres élevés peuvent en fait masquer un net affaiblissement.
En effet, même les langues affichant un nombre de locuteurs croissant – dû à la démographie – se retrouvent fragilisées. En réalité, la proportion de locuteurs de langues mayas, et plus largement indigènes, est en diminution : ces langues sont de moins en moins acquises comme langues maternelles et de moins en moins parlées aux enfants.
Par ailleurs, les milieux où elles sont les plus vitales se trouvent écartelés entre, d’un côté, les populations les plus pauvres et isolées, de l’autre, les élites intellectuelles mayas. Pour les premières, le monolinguisme maya est souvent vécu comme une peine, source de préjugés raciaux et enclume sociale ; les secondes, quant à elles, se développent mais, malgré leurs efforts, elles ont du mal à contrer la perte de vitesse de leurs langues premières, chaque jour plus aigüe chez les jeunes désireux d’échapper à la pauvreté et happés par les étincelles de la modernité.

Demande en mariage tektiteko – Photo : José Reynes
Des avancées prometteuses mais troublées au Guatemala
Pour préserver et redynamiser cette richesse linguistique, il faudra une reconnaissance réelle au niveau officiel, éducatif, culturel, politique et juridique.
Au Guatemala, où plus de la moitié des habitants est d’origine maya, la création de l’Academia de Lenguas Mayas dans les années 1990 a permis une prise en main des langues par les Mayas eux-mêmes, et a contribué à la formation de linguistes et acteurs culturels reconnus pour la qualité de leur recherche scientifique et leur implication dans les programmes de valorisation linguistique et culturelle. Mais la pérennité de ces derniers est menacée par les troubles profonds qu’endure le pays.
Une situation ambivalente au Mexique
Une loi a été approuvée en 2003 au Mexique, qui implique la reconnaissance et la protection des droits linguistiques individuels et collectifs des populations indigènes, et la promotion de l’usage et du développement de leurs langues. Ce cadre a donné lieu à plusieurs avancées : création d’un Institut gouvernemental dédié, inventaires et descriptions des langues (dirigés par un chercheur maya, F. Briceño Chel), production de matériel multimédia d’enseignement et de diffusion, actions pilotes de formation de professeurs et traducteurs etc.
L’objectif est de répondre à des besoins à la fois immenses et très concrets, sur le plan de l’éducation comme sur le plan juridique : permettre à un Maya de ne pas voir son savoir bafoué par l’éducation formelle, d’être alphabétisé dans sa langue maternelle, de comprendre et de se faire comprendre en justice pour pouvoir assurer sa défense.
Pour autant, le chemin est long et les appuis gouvernementaux beaucoup trop lacunaires et ambivalents. Malgré la loi, la plupart des administrations se moquent et refusent d’écouter celui qui vient parler en tseltal, tojolobal ou chol ; des Mayas littéralement non compris subissent une justice à deux mesures, et on peut lire encore aujourd’hui à l’entrée d’écoles supposées bilingues des panneaux interdisant l’usage de la langue maternelle.
Alors, cessons d’enfermer les Mayas dans leur pyramides. Sachons entendre leurs voix dans leurs langues, ces langues vivantes qui, dans leurs usages quotidiens ou rituels, portent en elles et recréent des traditions culturelles millénaires, ces langues raffinées dans lesquelles se renouvelle un art verbal et littéraire poignant, ces langues riches et complexes qui grâce à l’implication de leurs locuteurs ont contribué à l’analyse de phénomènes majeurs pour la compréhension du fonctionnement et de la diversité linguistiques.
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Voir aussi les vidéos de Sorosoro en kaqchikel et en tektiteko.
Pour apprendre des langues mayas :
INALCO – Diplôme de Langues et Cultures Mayas