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Les pidgins
Page réalisée en collaboration avec Michel Launey et Alain Kihm, 2009.
Un pidgin est un parler qui se développe entre locuteurs de langues très différentes ou très éloignées (au contraire d’une koïnè) pour faciliter les échanges. En général, le vocabulaire d’un pidgin provient pour l’essentiel de l’une des langues en présence, p.ex. l’anglais pour le Chinese Pidgin English utilisé pendant tout le dix-neuvième siècle entre commerçants chinois et européens dans les ports chinois ouverts aux étrangers (Canton, en particulier). Les mots d’origine chinoise y étaient en minorité, tout comme les emprunts au français et à l’anglais dans le Chinook Jargon utilisé au dix-neuvième siècle (et encore, semble-t-il, au vingtième) entre Amérindiens et Européens dans l’ouest des Etats-Unis et du Canada (Oregon, Washington, Colombie britannique). Il existe toutefois des pidgins « mixtes », tel le russnorsk à vocabulaire également russe et norvégien grâce auquel les marchands russes venus acheter la morue dans les ports du nord de la Norvège se comprenaient avec les pêcheurs locaux. (Le russnorsk a disparu avec le commerce qui l’avait fait naître peu après la révolution de 1917.) Enfin, il arrive que le vocabulaire provienne de plusieurs langues suffisamment proches pour qu’il soit difficile de les distinguer au niveau du pidgin : c’est le cas de la lingua franca méditerranéenne ou sabir où les apports lexicaux italiens, espagnols et occitans se confondent souvent.
Un pidgin n’est la langue maternelle de personne. Le caractère limité de ses emplois a pour corrélats (a) un vocabulaire restreint ; (b) une absence quasi complète de procédés morphologiques permettant de fléchir les mots selon les catégories de temps, de nombre, etc. et d’en former de nouveaux ; (c) une syntaxe peu complexe. Les pidgins disparaissent parfois quand ils perdent leur utilité (comme le russnorsk, si une langue s’impose dans la région concernée ou que les populations deviennent plurilingues).
Lorsqu’ils perdurent assez longtemps (plusieurs générations), il peut aussi se faire que leurs ressources lexicales, morphosyntaxiques et discursives s’enrichissent au point qu’ils ne se distinguent plus d’une langue « ordinaire » sans pour autant cesser de n’être qu’une langue seconde. Ce fut le cas du tok pisin de Papouasie-Nouvelle Guinée (anciennement nommé Pidgin English) jusqu’à il y a une trentaine d’années. C’est peut-être encore le cas du Kriyol (portugais) de Guinée-Bissau.
A ce stade, toutefois, il s’en faut peu pour que certains locuteurs s’approprient le pidgin et le transmettent exclusivement à leurs enfants. Le pidign devient alors un créole. C’est ce qui est arrivé au bislama du Vanuatu qui est devenu la langue maternelle des enfants des villes ; et c’est ce qui est en train de se passer pour le tok pisin évoqué plus haut.