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Les langues kanak
Page réalisée en collaboration avec Claire Moyse-Faurie (Directrice de recherche, LACITO-CNRS) ; relecture et compléments d’informations par Stéphanie Geneix-Rabault, Annick Kasovimoin et Weniko Ihage pour l’Académie des Langues Kanak.
Autres graphies
Langues canaques, langues kanakes.
Note : Le nom « kanak » vient du mot hawaïen « kanaka » signifiant « homme ». La graphie « canaque », graphie reprise au temps de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie, est désormais considérée comme péjorative et est désuète. Officiellement le mot «kanak » est invariable en genre et en nombre.
Où sont parlées les langues kanak ?
Ces langues sont parlées dans l’archipel de Nouvelle-Calédonie, qui se situe dans le Pacifique sud, dans une région largement appelée « Mélanésie ».
L’archipel de la Nouvelle-Calédonie se compose de la Grande Terre, l’île principale, et de nombreuses îles ou îlots : les îles Belep au nord, l’île Ouen et l’île des Pins au sud de la Grande Terre, et les quatre Îles Loyauté qui longent la côte est de la Grande Terre à quelque cent dix kilomètres de distance : Ouvéa est la plus au nord, puis Lifou, la petite île Tiga et enfin Maré au sud.
La désignation « langues kanak » recouvre les langues parlées sur la Grande Terre et aux îles Loyauté par les populations autochtones issues de peuplements précédant le contact avec l’Occident.
D’autres langues sont parlées en Nouvelle-Calédonie, toutes liées à l’histoire de la colonisation (français, javanais, vietnamien, etc.), ou à des migrations récentes (tahitien, wallisien, futunien).
Par ailleurs, des regroupements de population kanak autour de la mission de Saint Louis, près de Nouméa, au cours de la seconde partie du XIXe siècle, sont à l’origine de l’émergence d’un créole à base lexicale française, le tayo.
Classification externe
Les langues kanak appartiennent toutes au groupe océanien de la famille des langues austronésiennes, qui comprend 1 000 à 1 200 langues. Elles n’ont aucun lien génétique avec les langues papoues ou les langues aborigènes d’Australie.
A l’intérieur de ce groupe océanien, toutes les langues kanak (sauf une) appartiennent au sous-groupe « Nouvelle-Calédonie et îles Loyauté » directement issu du proto-océanien éloigné.
Une langue fait donc exception, le fagauvea, qui appartient au sous-groupe « polynésien nucléaire » du proto-polynésien. Cette langue polynésienne a été introduite à Ouvéa il y a quelques siècles à la suite de migrations polynésiennes d’est en ouest provenant de diverses îles, vraisemblablement Wallis, Samoa, Futuna et Tonga, selon la tradition orale et l’étude comparative des langues polynésiennes.
Classification interne
La Nouvelle-Calédonie comprend 28 langues kanak à l’intérieur desquelles sont généralement distingués deux grands ensembles : les langues des îles Loyauté d’un côté et les langues de la Grande Terre de l’autre.
Les langues de la Grande Terre peuvent elles-mêmes être réparties en deux sous-groupes ayant des traits diamétralement opposés : les langues du Sud et les langues du Nord.
Entre ces deux groupes : le paicî ressemble aux langues du Sud mais présente des liens génétiques forts avec les langues du Nord.
Les aires coutumières kanak
Suite aux accords de Matignon-Oudinot, en 1988, 8 aires coutumières ont été crées en Nouvelle-Calédonie, 5 pour la Grande Terre et 3 pour les îles Loyauté.
Chaque aire dispose d’un Conseil (Sénat Coutumier) dont les compétences concernent essentiellement les questions liées à la terre ainsi que la culture et les langues kanak.
Nombre de locuteurs
Les langues kanak de Nouvelle-Calédonie sont parlées par un total de 70 428 locuteurs âgés de plus de 14 ans (ISEE, 2009).
Ce nombre se répartit comme suit, par aire coutumière :
I. Langues de la Grande Terre
Aire coutumière Hoot ma Whaap : (ISEE 2009)
nêlêmwa/nixumwak : 1090 locuteurs âgés de plus de 14 ans
yuanga : 2400 locuteurs âgés de plus de 14 ans
nyelâyu : 1955 locuteurs âgés de plus de 14 ans
caac : 1165 locuteurs âgés de plus de 14 ans
jawe : 990 locuteurs âgés de plus de 14 ans
fwâi : 1858 locuteurs âgés de plus de 14 ans
nemi : 908 locuteurs âgés de plus de 14 ans
pije : 183 locuteurs âgés de plus de 14 ans
pwaamei : 292 locuteurs âgés de plus de 14 ans
pwapwâ : 39 locuteurs âgés de plus de 14 ans
dialectes de Voh-Koné (ensemble de 6 dialectes : bwatoo, haeke, haveke, hmwaveke, hmwaeke, vamale) : 1203 locuteurs âgés de plus de 14 ans
Aire coutumière de Paici-Camuki :
paicî : 7252 locuteurs âgés de plus de 14 ans
cèmuhî : 2602 locuteurs âgés de plus de 14 ans
Aire coutumière Ajie-Aro :
ajië : 5356 locuteurs âgés de plus de 14 ans
arhâ : 166 locuteurs âgés de plus de 14 ans
arhö : 349 locuteurs âgés de plus de 14 ans
’ôrôê : 490 locuteurs âgés de plus de 14 ans
neku : 125 locuteurs âgés de plus de 14 ans
sîshëê : 19 locuteurs âgés de plus de 14 ans
Aire coutumière Xârâcùù :
xârâcùù : 5729 locuteurs âgés de plus de 14 ans
xârâgurè : 758 locuteurs âgés de plus de 14 ans
haméa-tîrî : 596 locuteurs âgés de plus de 14 ans
Aire coutumière Drubea-Kapumë :
drubéa : 1211 locuteurs âgés de plus de 14 ans
numèè- kwênyii : 2184 locuteurs âgés de plus de 14 ans
tayo (créole à base lexicale française) : 904 locuteurs âgés de plus de 14 ans
II. Langues des îles Loyauté
Aire coutumière Nengone :
nengone : 8721 locuteurs âgés de plus de 14 ans
Aire coutumière Drehu :
drehu : 15586 locuteurs âgés de plus de 14 ans
Aire coutumière Iaai :
iaai : 4078 locuteurs âgés de plus de 14 ans
fagauvea : 2219 locuteurs âgés de plus de 14 ans
L’Académie des langues kanak
L’Académie des Langues Kanak (ALK) est un établissement public de la Nouvelle-Calédonie. Créé en 2007, sa mission est de fixer les règles d’usage et de concourir à la promotion et au développement de l’ensemble des vingt-huit langues et de la dizaine de dialectes kanak parlés en Nouvelle-Calédonie.
Ses travaux prioritaires sont donc les opérations de normalisation graphique, de diffusion et de valorisation de cette richesse patrimoniale, mais les champs d’action qu’elle met en œuvre sont multiples et variés : animations, festivals, conférences, collecte, accompagnement technique à la finalisation d’outils et supports variés en langues kanak, sujets de concours, etc.
Enseignement des langues kanak
Du décret de Guillain en 1863 interdisant l’usage à l’école des « idiomes indigènes », en passant par l’arrêté de 1921 interdisant toute publication en langues kanak, il faut attendre 1984 pour que ces dispositifs disparaissent.
Les accords de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998) posent le cadre juridique dans lequel les langues kanak s’inscrivent aujourd’hui.
L’alinéa 1.3.3. de l’Accord de Nouméa stipule que « les langues kanak sont, avec le français, des langues d’enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie. Leur place dans l’enseignement et les médias doit donc être accrue et faire l’objet d’une réflexion approfondie. »
Depuis 1992 et l’extension de la loi Deixonne en Nouvelle-Calédonie, quatre langues kanak sont enseignées dans le secondaire et peuvent être présentées au baccalauréat : le paicî, l’ajië, le nengone et le drehu.
Une filière Langues et Cultures Régionales a été créée à l’Université de la Nouvelle-Calédonie en 1999.
En 2005, le congrès a introduit l’enseignement des langues et cultures kanak et océaniennes dans les programmes officiels du primaire. Il a été mis en place au cycle 1 dès 2006 dans les écoles primaires publiques, avec la perspective d’une généralisation au cycle 2 et 3 sous réserve d’une expérimentation scientifique.
Ce sont aujourd’hui 15 langues kanak qui sont enseignées dans les écoles maternelles publiques (DENC 2011).
Présence des langues kanaks dans les média
L’Accord de Nouméa (1998) précise que « la place des langues kanak dans les médias doit être accrue et faire l’objet d’une réflexion approfondie ».
Sur les radios locales, seules les émissions Ruo, lancées par l’ADCK en 2001, perdurent sur radio Djiido. Par ailleurs, l’ALK a mis en place des chroniques radiophoniques en langues kanak sur RFO en 2009, qui étaient diffusées trois fois par jour du lundi au vendredi.
Dans la presse écrite, l’ALK fait publier des encarts en diverses langues kanak dans Les Nouvelles Calédoniennes (quotidien local) chaque vendredi (2011), avec mise en ligne sur le site web en simultané pour donner à entendre ces langues.
Les langues kanak sont-elles en danger ?
Dans son édition de 2009, l’Atlas des langues en danger de l’UNESCO recense 18 langues kanak menacées, dont 5 en situation critique.
La plupart des langues kanak menacées sont parlées sur la Grande Terre. Parmi elles, le sîshëê est généralement considéré comme éteint depuis 2006, mais il est possible qu’il reste encore une dizaine de locuteurs. Il est donc au moins au bord de l’extinction. Les autres langues dans les situations les plus critiques sont le pije, le pwapwâ, l’arhâ et l’arhö qui risquent de mourir dans un avenir très proche si rien n’est fait pour les revitaliser. Toutes les autres langues des 5 aires coutumières de Grande-Terre sont, à des degrés divers, en danger.
Celles que l’UNESCO ne considère pas comme étant en danger sont : le nêlêmwa/nixumwak, le yuanga, le nyelâyu, le paicî , le cèmuhî, l’ ajië, le xârâcùù et le numèè- kwênyii. Ces langues sont supposées posséder une bonne vitalité et elles sont souvent des langues dominantes et des langues véhiculaires au sein de la population kanak des aires coutumières auxquelles elles sont rattachées. Néanmoins, elles sont très en retrait par rapport au français. Et, malgré les efforts récents pour les promouvoir, il reste beaucoup à faire pour qu’on puisse vraiment dire qu’elles ne sont plus en situation défavorable.
Concernant les langues des îles loyautés, dont seul le fagauvea est recensé comme une langue « menacée » par l’UNESCO (degré 1 sur une échelle de 5), elles sont assez vivaces et majoritaires sur leur territoire. Sans doute est-ce lié à leur relatif isolement et au fait que la population francophone y est relativement peu nombreuse.
Bibliographie essentielle
CERQUIGLINI, B. (dir.), 2003, Les Langues de France, Paris, PUF, p. 347-435.
BONVINI, Emilio, Joëlle BUSUTTIL et Alain PEYRAUBE (sous la direction de), 2011, Dictionnaire des langues, PUF (plusieurs articles sur la classification des langues austronésiennes et les différents sous-groupes, ainsi que sur des langues individuelles, dont le xârâcùù, le nêlêmwa, le iaai).
Quelques liens pour en savoir plus
- En français
- En anglais
Site de l’Académie des Langues Kanak
Agence de Développement de la Culture Kanak-Centre Culturel Tjibaou : pour les abonnées de la médiathèque, accès en ligne à de nombreux corpus de textes en langues kanak.
Site Corpus de la parole (Ministère de la Culture et de la communication, CNRS) : corpus de textes en 13 langues kanak (drehu, ajië, bwatoo, cèmuhî, fagauvea, iaai, nââ kwényï, nêlêmwa, nemi, nengone, xârâcùù, xârâgurè, yuanga), wallisien et futunien.
Site Corpus de la Parole (Ministère de la Culture et de la communication, CNRS) : la Nouvelle Calédonie.
Site du CDP-NC : Rubrique Langues et Cultures en Nouvelle-Calédonie
Laboratoire des langues et civilisations à tradition orale (LACITO) du CNRS : corpus océanien
University of Auckland : Austronesian Basic Vocabulary Database
Australian National University : lexique de proto-océanien, tome 1
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org