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Le xârâcùù
Page réalisée en collaboration avec Claire Moyse-Faurie (Directrice de recherche, LACITO-CNRS) ; relecture et compléments d’informations par Stéphanie Geneix-Rabault, Annick Kasovimoin et Weniko Ihage pour l’Académie des Langues Kanak.
Données sur la langue xârâcùù
Noms alternatifs : langue de Thio-Canala
Aire Géographique : Nouvelle-Calédonie, aire coutumière Xârâcùù. Le xârâcùù est parlé dans les villages de la commune de Canala, ainsi que dans la commune de Thio (Thio village, Ouroué et Thio-Mission (St-Philippo I), Ouindo et Kouaré) et dans les villages de Ouipoin et Koindé, sur la commune de La Foa. Il est en contact avec le xârâgurè dans les villages St-Michel, St-Pierre et St-Paul, ainsi que les tribus de Boulouparis : Nassirah, Kouergoa, Ouitchambo et Ouinané. Le xârâcùù est parlé dans la tribu de Koh sur la commune de Kouaoua, et se mêle au tîrî dans la commune de Sarraméa.
Variations dialectales : Le xârâcùù est parlé sur un vaste territoire, très accidenté puisqu’il traverse la chaîne centrale de Canala à La Foa, s’étend de Kouaoua à Thio le long d’un littoral coupé de fortes collines, et remonte dans les hautes vallées transversales. Cette dispersion géographique, avec des enclaves encore relativement isolées, explique l’existence de variantes phonétiques et lexicales d’une vallée à l’autre, variantes qui permettent de localiser l’origine précise des locuteurs. Ainsi par exemple, et bien que l’opposition entre /s/, /ʃ/ et /x/ existe dans toute la zone xârâcùù, « alène de toiture » se dit [se] à Canala et [ʃe] à Nakéty tandis que « un » se dit [ʃa:] à Canala et [xa:] à Thio.
Classification : Comme toutes les langues kanak (à l’exception du fagauvea) il appartient à la branche océanienne éloignée de la famille autronésienne. Les langues kanak de la Grande Terre et des îles Loyauté forment un sous-groupe de cette branche océanienne. Et parmi les langues kanak de la Grande Terre calédonienne, le xârâcùù appartient au groupe des langues du Sud, aux côtés de l’ajië, du tîrî et du xârâgurè. Le xârâcùù est assez proche du xârâgurè, parlé sur la même aire coutumière.
Nombre de locuteurs : selon le dernier recensement (ISEE 2009), 5729 locuteurs de plus de 14 ans. Le tiers d’entre eux réside en dehors de l’aire xârâcùù, principalement dans la région de Nouméa. Les deux autres tiers résident essentiellement sur la côte est de la Grande Terre, dans les communes de Canala et de Thio. Un certain nombre de personnes âgées ne parlent que le xârâcùù.
Statut : Comme toutes les langues kanak, le xârâcùù fait partie des 75 langues de France et, depuis l’accord de Nouméa (1998), est reconnu langue d’enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie. Il est utilisé comme langue véhiculaire dans l’aire coutumière xârâcùù.
Vitalité et transmission : Le xârâcùù n’est pas considéré comme une langue en danger par l’UNESCO, elle est l’une des langues kanak qui se maintient le mieux car elle est parlée dans toutes les communes de l’aire linguistique Xârâcùù, avec plus de 90 pour cent de la population à Canala. C’est la 4° langue kanak la plus parlée en Nouvelle-Calédonie après le drehu, le nengone et le paicî. Outre l’enseignement dispensé à l’école, il existe une pratique quotidienne de la langue dans la majorité des foyers fortifiant ainsi sa transmission aux jeunes générations.
Les migrations austronésiennes ont touché l’archipel calédonien il y a environ 3300 ans. La diversification linguistique constatée actuellement en Nouvelle-Calédonie s’est faite dans un contexte d’insularité, où un « bilinguisme égalitaire » (tel que l’a nommé A.-G. Haudricourt) et une aspiration à une appropriation identitaire particulière ont favorisé à la fois la différentiation et la préservation des langues kanak. L’enseignement du français, rendu obligatoire dans toutes les écoles dès 1863, les a cependant marginalisées, à l’exception de celles choisies par les missionnaires protestants dans leur œuvre d’évangélisation.
Ecriture : L’écriture en usage aujourd’hui est celle mise au point dans les années 80 par les linguistes du LACITO-CNRS. Elle tient à la fois compte de l’identité phonologique de la langue, de considérations pratiques (usage de diacritiques disponibles sur un clavier ordinaire) et du souci d’harmoniser la notation des différentes langues de la Grande Terre.
Médias : Un cédérom de textes en langues xârâcùù et xârâgurè a été élaboré pour le Centre Culturel Tjibaou à partir d’enregistrements effectués par Claire Moyse-Faurie dans les années 1980. Six enregistrements en xârâcùù, avec traduction française et mot à mot, sont consultables sur le site du LACITO.
Le programme Sorosoro a par ailleurs effectué un tournage audiovisuel en pays xârâcùù en octobre-novembre 2010. Plusieurs petits films sont en cours de réalisation à partir des images et des sons collectés à cette occasion. Ils seront disponibles à partir de fin septembre 2011 sur ce site, notamment une interview de Marie-Adèle Jorédié, enseignante et militante kanak, sur sa langue et sur son programme « Bb lecture ».
Littérature : deux dictionnaires ont été publiés, l’un xârâcùù-anglais et anglais-xârâcùù de G.W. Grace (1975), l’autre de C. Moyse-Faurie et M.-A. Néchérö-Jorédié (1986, 2ème édition 1989) xârâcùù-français et français-xârâcùù. Une grammaire (Moyse-Faurie) a été publiée en 1995, de même que plusieurs articles linguistiques ; des textes de tradition orale figurent de manière éparse dans diverses publications. A partir de cette grammaire, un manuel scolaire a été élaboré par André Ba Duong Nguyen avec la collaboration de Kamilo IPERE (Enseignant retraité), publié par l’Agence de développement de la culture kanak en 2007.
Enseignement : En mars 1985, sous l’impulsion des partis indépendantistes, a été créée une « école populaire kanak » (EPK) à Canala, où l’ensemble des apprentissages depuis la maternelle jusqu’au cours moyen se faisait « en langue », le français y étant enseigné comme langue seconde. Les EPK ont fonctionné jusqu’au début des années 2000, avant de fermer. A présent, le xârâcùù est aussi au programme des collèges de Canala et de Thio bien qu’il n’ait pas encore été reconnu comme langue à option au baccalauréat.
Précisions sociolinguistiques
Linguistiquement, l’aire coutumière Xârâcùù n’est pas homogène. Même si elle compte le plus grand nombre de locuteurs et qu’elle est largement utilisée comme langue véhiculaire par les populations kanak de la région, le xârâcùù n’est pas la langue maternelle de tous les habitants. Environ 300 personnes parlent le haméa (ou langue de Méa), principalement dans les tribus de la chaîne au-dessus de Kouaoua, à Konoye, Wérupimé et Wââbe (Méchin), à Facha, et dans quelques familles à Méa Mébara. On parle ajië (houaïlou) de Méa Mébara à Kouaoua, et à Ceynon ; tîrî de Couli à Sarraméa (environ 500 locuteurs) ; xârâgurè à Thio-Mission (Saint Philippo II), en partie à Saint-Michel, Saint-Paul et Saint-Pierre, et dans tous les villages du littoral entre Thio et la rivière N’Goye (environ 500 locuteurs) ; à Wîînârî (Ouinané) les adultes sont bilingues xârâgurè/drubea, les jeunes parlant surtout le français. Partout ailleurs, on parle le xârâcùù.
Précisions linguistiques
Le xârâcùù est l’une des langues kanak de la Grande Terre les mieux documentées. Il possède une phonologie assez riche, avec 26 consonnes et 34 voyelles longues et brèves. La structure syllabique ne permet pas les successions de consonnes et les consonnes finales. L’accent est démarcatif : il porte sur la première more des unités de trois mores au plus, ou sur les deux premières mores des unités de plus de trois mores. Le xârâcùù est une langue à « morphèmes accentogènes », liés entre eux par un phénomène de couplage (Rivierre, 1978). Les procédés de dérivation et de composition sont riches et complexes et constituent l’essentiel de la morphologie. L’ordre des mots est généralement SVO. Cependant, le sujet peut être rejeté après le verbe, et est alors introduit par une préposition agentive. Langue omniprédicative, elle présente cependant une opposition verbo-nominale assez marquée par des contextes nominaux et verbaux bien distincts. Il existe en outre des classificateurs numéraux spécifiques à ce que l’on compte (ignames, poissons, objets longs, plants). Le système de numération est à la fois quinaire et vigésimal.
Bibliographie
Grace George William, 1975, English-Canala Dictionary, Canberra, Australian National University, Pacific Linguistics, B-26.
—1986, Hypotheses about the phonological history of the language of Canala. New Caledonia, Te Reo 29, pp. 55-67.
Haudricourt A.-G. et al., 1979, Les langues mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Publication de la D.E.C. coll. Eveil n°13.
Moyse-Faurie Claire, 1989, Structures actancielles et classes verbales en xârâcùù, Actances 4, pp. 99-125.
—1991a, « Relational morphemes and a transitivising suffix in Xârâcùù (New Caledonia) », in R. Blust (éd.), Currents in ethnolinguistica in honour of George W. Grace, Canberra, Australian National University, Pacific Linguistics, C-117, pp. 305-320.
—1991b, « La langue xârâcùù (Nouvelle-Calédonie) », in D. Tryon (ed.), Comparative Austronesian Dictionary (in three parts), Berlin, Mouton de Gruyter.
—1995, Le xârâcùù. Langue de Thio-Canala (Nouvelle-Calédonie). Eléments de syntaxe. Paris, Peeters, lcp 10.
—1998, Relations actancielles et aspects en drehu et en xârâcùù, Actances 9, pp. 135-145.
—2011, « Xârâcùù », in Bonvini, Emilio, Joëlle Busuttil et Alain Peyraube (sous la direction de), Dictionnaire des langues, PUF, 1220-1229.
Moyse-Faurie Claire et Marie-Adèle Néchérö-Jorédié, 1989 (2e éd), Dictionnaire xârâcùù-français (Nouvelle-calédonie), Nouméa, Edipop.
Néchérö-Jorédié Marie-Adèle, 1988, « A Kanak People’s School (interview) », in M. Spencer, A. Ward et J. Connell (eds), New Caledonia. Essays in nationalism and dependency, St Lucia, University of Queensland Press, pp. 198-218.
Nguyen Ba Duong, André et Kamilo Ipéré. 2007. Apprendre le xârâcùù, langue de Thio-Canala (Nouvelle-Calédonie). Aprroche linguistique. Nouméa, Agence de Développement de la Culture Kanak.
Nguyen Ba Duong, André, Kamilo Ipéré et Marcel Até, 2001. Contes et légendes en Xârâcùù : langue de Thio-Canala (Nouvelle-Calédonie), Mairie de Canala.
Rivierre Jean-Claude, 1978, « Accents, tons et inversion tonale en Nouvelle-Calédonie », Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, t. 73, fasc. 1, pp. 415-443.
Quelques liens pour en savoir plus
Site de l’Académie des Langues Kanak
Page consacrée au xârâcùù sur le site de l’Académie des langues Kanak
Site Corpus de la parole de la DGLFLF : corpus de textes en 13 langues kanak (drehu, ajië, bwatoo, cèmuhî, fagauvea, iaai, nââ kwényï, nêlêmwa, nemi, nengone, xârâcùù, xârâgurè, yuanga), wallisien et futunien
Page consacrée au xârâcùù sur le site Corpus de la parole de la DGLFLF
Agence de Développement de la Culture Kanak-Centre Culturel Tjibaou : pour les abonnés de la médiathèque, accès en ligne à de nombreux corpus de textes en langues kanak
Site du CDP-NC : Rubrique Langues et Cultures en Nouvelle-Calédonie
Laboratoire des langues et civilisations à tradition orale (LACITO) du CNRS : corpus océanien
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org