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Le provençal
Fiche rédigée par Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique à l’Université, locuteur familial du provençal, écrivain en provençal, auteur de nombreuses études sociolinguistiques, méthodes, dictionnaires de provençal.
Données sur la langue provençale
Noms de la langue : prouvençau [pRuveŋsaw, pRueŋsaw], provençal en français.
Noms alternatifs : patouas [patwa, patwas] , patoues [patwes], en français patois ; pour le provençal de la montagne : gavouat [gavwa], gavouot [gavwɔ], en français gavot ; il est courant que les provençalophones nomment aussi leur parler en provençal et en français à partir du nom de leur commune (« marseillais, provençal marseillais / marsihés, prouvençau marsihés »), de leur « pays » ou de leur département (« varois, provençal varois »), par exemple. Le niçois ou nissart et les parlers du haut pays niçois sont en général considérés comme une langue différente mais très proche du provençal.NB : le nom « occitan » par lequel certains mouvements militants, minoritaires en Provence, désigne le provençal en l’englobant dans une langue occitane, est peu usité et incompris par la plupart des locuteurs du provençal et par la population de la Provence en général. Il est présent sur le plan institutionnel dans les vallées méridionales du Piémont italien où il est peu usité par les populations, qui emploient plutôt « provençal » davantage pour évoquer un « cousinage » que pour désigner leurs parlers locaux (qui portent en général le nom du village, de la vallée, ou aucun nom particulier).
Classification : famille des langues indo-européenne, langue romane du groupe occidental, souvent incluse dans le groupe dit « d’oc ».
Aire géographique : Provence historique, région nîmoise en Languedoc, Drôme provençale, région de Gap, vallées dites provençales du Piémont méridional italien. NB : la classification des parlers dits « provençaux alpins » comme relevant du provençal est discutée en ce qui concerne la très haute Provence (vallée de Barcelonnette) et le sud du Dauphiné alpin (gapençais, briançonnais, Diois…).
Nombre de locuteurs :
- En France : Environ 250.000 locuteurs actifs à des degrés divers ; environ 250.000 à 500.000 en capacité de compréhension orale à des degrés très divers et de production de messages brefs et figés de types dictons, proverbes, locutions, chansons. NB : le français parlé par beaucoup de Provençaux même non provençalophones est fortement influencé par le provençal (prononciation, lexique, expressions, tournures syntaxiques et façons de dire).
- En Italie : Environ 60.000 locuteurs à des degrés divers.
Statut de la langue :
- En France : aucun véritable statut officiel à l’exception d’une reconnaissance comme faisant partie du patrimoine national en tant que langue régionale dans la Constitution française (bien que la France ait ratifié des textes internationaux de protection des droits humains y compris linguistiques qu’elle ne respecte pas et interdit depuis 2016 les discriminations linguistiques) ; reconnaissance et soutien marqués par les instances locales (Région, départements, communes) avec statut symbolique fort comme marqueur d’identité régionale ; quelques usages institutionnels et publics symboliques (signalétique, noms de communes, de rues, de commerces, etc.) ; bonne reconnaissance comme langue de culture y compris au niveau international (notamment littéraire, cf. Prix Nobel de Frédéric Mistral) ; langue enseignée de façon limitée dans le système éducatif et de façon plus répandue dans le tissu associatif ; attachement d’une bonne partie de la population provençale (mais devenue minoritaire en Provence) ; usages publics officiels ponctuels (discours, publications institutionnelles), usages familiers en situations de connivence, usages véhiculaires rares en général en situation d’intercompréhension avec d’autres langues romanes.
- En Italie : protégé par la loi notamment suite à la ratification de la Charte européenne des langues minoritaires et une loi de 1991 puis de 1999, sous le nom controversé d’ « occitan ». L’action de promotion est confiée aux communes qui le désirent dans un cadre régional. Quelques unes l’ont fait, de façon modeste.
Vitalité et transmission:
- En France : La majorité des locuteurs a plus de 60 ans et la proportion de locuteurs diminuent de façon exponentielle dans les générations ultérieures. La transmission grands-parents / petits-enfants et parents / enfant est devenue très faible, probablement de l’ordre de 1 à 2%, même si elle n’a jamais été totalement interrompue. Depuis les années 1950 en ville et 1970 en zones rurales, sauf exceptions ponctuelles, les Provençaux ont le français comme langue première, parfois aux côtés du provençal mais de plus en plus rarement. Les familles d’origines italienne, nombreuses en Provence, comptent parmi les plus provençalophones aujourd’hui. L’enseignement touche une proportion très faible des élèves (moins de 5%). A l’université (Aix surtout), le provençal connait un regain d’intérêt de la part des étudiants mais touche au maximum quelques centaines de personnes chaque année. En revanche, les cours associatifs sont très fréquentés notamment par des retraité-e-s revenant vers leurs origines.
- En Italie : Situation comparable à la Provence, à cause de la double domination du piémontais et de l’italien, et de la désertification des zones rurales montagnardes, malgré une meilleure acceptation des parlers locaux dans la société italienne et une meilleure protection juridique.
Médias et enseignement:
Le provençal est une langue d’ancienne tradition écrite qui a connu plusieurs périodes littéraires : la poésie troubadouresque au moyen-âge, une période d’écriture plus rare mais continue du XVIe au XVIIIe siècles, un renouveau au XIXe siècle qui a conduit à la « respelido », renaissance littéraire autour de F. Mistral et du Félibrige, qui se poursuit de façon moins visible au cours du XXe siècle et jusqu’à nos jours. Le Prix Nobel de Littérature décerné à Frédéric Mistral en 1904 pour son œuvre toute en provençal a donné une valeur symbolique très forte à son auteur et à sa langue. La poésie et le théâtre sont majoritaires, la prose a été développée au cours du XXe siècle, le tout dû à auteurs à écritures souvent bilingues et de renommée parfois nationale.
Le provençal est apparu dans des médias locaux à partir du XIXe siècle. Sa place dans les médias modernes en France et en Italie (presse écrite, radio, TV) est régulière mais marginale. Il existe des médias écrit en provençal à caractère associatifs mais stables (plutôt des magazines mensuels à tirages limités à quelques milliers).
Après une longue période d’exclusion de l’enseignement au profit du français via une politique particulièrement agressive (XIXe et première moitié du XXe siècle), le provençal a été introduit de façon optionnelle et marginale, mais de plus en plus institutionnalisée, dans l’enseignement de la maternelle à l’université. Moins de 5% des élèves en bénéficient. Il y a néanmoins des enseignants formés, titulaires de postes, des outils pédagogiques et des épreuves aux examens. Les tentatives d’inclusion dans un occitan globalisé, voire normé, sous une graphie différente de celle massivement utilisée depuis le XIXe, ont considérablement détourné l’attention de la population qui n’y reconnait pas sa langue et ralenti la promotion du provençal en captant une bonne partie des énergies dès lors concentrées dans une double résistance contre la francisation et l’occitanisation.
Précisions historiques
Jusqu’au XIXe siècle, le provençal est la langue usuelle de la société provençale, y compris des classes supérieures. Il est utilisé à l’écrit depuis le moyen-âge aux côtés du latin, puis remplace le latin aux XVe et XVIe s. avant d’être chassé des écrits administratifs par le français (ou le piémontais puis l’italien en Italie). La Provence est indépendant jusqu’au XVIe s., sous une sorte de « protectorat » du roi de France qui lui laisse une grande autonomie jusqu’à son annexion complète par la France lors de la révolution de 1789. A partir du XIXe la politique française introduit le français avec une certaine violence et les classes supérieures deviennent progressivement bilingues. Cela provoque l’émergence d’une revendication régionaliste et linguistique précoce (dès le milieu du XIXe), vive jusqu’à aujourd’hui, bien qu’elle soit désormais noyée dans une société fortement déprovençalisée. C’est à partir du XXe que le français gagne les milieux populaires (école obligatoire, conscription), et ce n’est qu’à partir des années 1930 dans les villes et 1950 dans les campagnes que les enfants sont élevés en français (provençalisé, célèbre pour son « accent ») et perdent progressivement le provençal. La chute de la transmission et de la pratique est rapide entre 1950 et aujourd’hui, due notamment à la mise en minorité numérique des Provençaux en Provence (forte immigration de Français des ex-colonies, de riches retraités, de cadres et vagues touristiques massives surtout l’été). Depuis le XIXe siècle, à l’exception des militants dans le sillage du Félibrige de F. Mistral, le provençal est devenu une langue surtout populaire dont la richesse culturelle, méditerranéenne et alpine, a été beaucoup étudiée (phraséologie, dictons, lexiques spécialisés…). Il existe encore un attachement symbolique assez fort et des associations militantes nombreuses et actives, fédérées en grands réseaux (notamment Union Provençale, Collectif Provence), qui permettent un certain soutien institutionnel local (l’affichage bilingue en étant une expression visible fréquente mais non généralisée).
Précisions linguistiques
Le provençal a connu trois grandes périodes linguistiques au cours desquelles il a beaucoup changé : l’ancien provençal jusqu’au XIVe siècle, le provençal moyen du XVe au XVIIe, le provençal moderne à partir du XVIIIe. On y reconnait plusieurs grandes variétés, d’autant que la graphie moderne dite « mistralienne » note les variations de l’oral : le rhodanien dans la vallée du Rhône, le maritime et intérieur d’Apt, Aix, Marseille jusqu’à Manosque, Draguignan et Cannes, l’alpin au nord de Sisteron et Digne jusque dans les vallées piémontaises, le drômois autour de Montélimar. Les parlers montagnards sont conservateurs de formes anciennes et leur image est peu positive. Les parlers du sud sont les plus prestigieux et parmi eux l’arlésien fait figure de variété la plus valorisée, alors qu’elle est en fait très évolutive et donc moins « typique » que les variétés varoises (Toulon, Draguignan…). Cela dit, la variation est bien acceptée, aucune variété n’a été imposée comme norme de référence, et des associations actives ont adopté l’idée d’une langue provençale polynomique sur le modèle de la langue corse.
Les graphies sont bricolées à partir de l’alphabet latin et à tendance phonétique jusqu’au XIXe s., sous influence française (et parfois italienne) depuis le XVIIe, jusqu’à l’élaboration d’une orthographe moderne à tendance phonétique au milieu du XIXe avec le Félibrige. Un retour à une graphie d’inspiration médiévale a été proposée par l’occitanisme, mais son caractère trop savant, trop difficile et trop éloigné de la prononciation moderne a conduit à un relatif échec. Parmi ses caractéristiques linguistiques marquantes, intermédiaires entre italien, corse, français et catalan ou espagnol et portugais, le provençal a un –o final correspond au –a de l’italien / espagnol et –e muet du français (les mots féminins sont en –o et non en –a), des articles pluriels en –i (li, di ou lei, dei pour « les, des ») et pas de pluriel aux noms et adjectifs (à l’exception des parlers de haute montagne qui ont conservé le –s), deux sortes de r, fricatif comme en français ou légèrement roulé entre voyelles.
Extraits
Extrait du premier chant de l’Odysée d’Homer en provençal :
«Muso, parlo me d’aquel ome endùstri que barrulè tant de tèms, quouro aguè debana la ciéutadello sacrado de Troio. E veguè li ciéuta de pople noumbrous, n’en couneiguè sis èime ; e dins soun cor endurè bravamen de malastre sus mar, pèr sa vido e la revengudo de si coumpagnoun. Mai contro sa desiranço noun li sauvè: periguèron pèr sis impieta, li dessena! aguènt manja li biòu dóu Soulèu d’Iperioun, e aquest ié raubè l’ouro dóu retour. Digo-me ‘no part d’aquéli causo, Divesso, chato de Jupitèr.» (Source)
Extrait audio :
Sources et bibliographie complémentaire
Sources et Bibliographie
http://www.lexilogos.com/provencal_dictionnaire.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Provençal
http://www.cieldoc.com/som_prov.htm
Blanchet, Philippe, Le provençal, essai de description sociolinguistique et différentielle, Institut de Linguistique de Louvain, Louvain, Peeters, 1992, 224 p.
Blanchet, Philippe, Parlons provençal !, langue et culture, Paris, l’Harmattan, 1999, 157 p.
Blanchet, Philippe, Langues, cultures et identités régionales en Provence. La Métaphore de l’aïoli, Paris, L’Harmattan, collection “ Espaces Discursifs ”, 2002, 251 p.
Blanchet, Philippe, Parle-moi provençal, méthode d’auto-apprentissage du provençal, Chennevières, Assimil, 2010, 230 p. + 2 CD.
Blanchet, Philippe, Le provençal pour les nuls, Paris, First éditions, 2011, 213 p.
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