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Le menik
Page compilée par Adjaratou Oumar Sall, chercheur, IFAN – Université Cheikh Anta Diop, Dakar (Sénégal). 2010 et revue par Marie Paule Ferry, directeur honoraire au CNRS 2011.
Données sur la langue
Noms alternatifs : bedik, tenda, tanda, mënik
Classification : Ouest-Atlantique, famille Niger-Congo, sous-groupe tenda
Principaux dialectes :
Il existe trois dialectes du menik :
- le dialecte banapas parlé à Bandata et Etyowar dans la localité de Bandafassi, région de Kédougou
- le dialecte biwol parlé à Iwol, Anjel, Eces, Nyinefeša
- le bëñolo parlé à Oussounkalan, Kurungoto, Mandaces, Sinturuji
On observe une bonne intercompréhension entre ces dialectes.
Aire géographique :
Le menik est parlé dans le Sénégal oriental, précisément dans la région de Kédougou et essentiellement dans la communauté rurale de Bandafassi. Il est également parlé à Tambacounda, Mbour et Dakar.
Nombre de locuteurs :
En 2002, les missionnaires chrétiens de NTM (New Tribes Mission), qui ont été les seconds à travailler sur la langue avec l’élaboration de syllabaires, ont estimé le nombre de Bediks, au Sénégal, à 3380 (ethnologue.com 2009).
Statut :
Il a un statut de langue nationale au Sénégal, étant codifiée depuis 2004 avec un décret d’orthographe et de séparation des mots. Ce décret permet de fixer le code graphique et la base conventionnelle qui régit l’orthographe de la langue.
La codification du menik, permet de le considérer comme langue nationale, à l’instar de toutes les langues parlées dans le pays, dès lors qu’elles sont codifiées. Le statut de langue nationale aboutit à ce que ces langues soient prises en compte dans les programmes d’alphabétisation, dans la confection de manuels d’enseignement, ainsi que dans l’élaboration de documents officiels dans les langues nationales.
Les communautés de locuteurs qui sont à la base du processus de codification, estiment que la reconnaissance officielle de leur langue dans le patrimoine national impulsera un développement endogène qui ne peut se faire sans la prise en compte de leur culture afin de pouvoir articuler les savoirs acquis au mécanisme de fonctionnement de leur génie.
Malheureusement, après la codification, rien n’a encore été fait pour le menik, à l’instar des autres langues sénégalaises. La codification et la reconnaissance des langues minoritaires comme langues nationales n’a pas d’impact significatif sur leur promotion.
Vitalité et Transmission :
Il existe un niveau élevé de bilinguisme dans les zones où est parlé le menik :
- Dans les villages bediks, la langue se transmet encore mais la majorité des locuteurs parlent couramment le pulaar (peul) , le mandinka et le français et en font un usage quotidien.
- Dans les villes comme Dakar et Tambacounda, les Bediks parlent plus français ou pulaar que menik.
Les Bediks sont ainsi tous au moins bilingues (avec très peu d’exceptions) menik-pulaar ou menik-mandinka, voire trilingues menik-pulaar-français.
Cependant, le paradoxe qui existe est que, même fragilisés et en danger, les locuteurs du menik, bien qu’étant parfaitement intégrés à la culture environnante et ayant une grande perméabilité aux autres langues avec lesquelles ils sont en contact, sont réunis par un solide sentiment identitaire. Cette situation, qui a certes des incidences communes sur les langues tant au niveau sociolinguistique que structural, ce qui semble en faire des candidates toutes désignées à une mort imminente, n’empêche pas une relative vitalité.
Médias /Littérature/Enseignement :
La langue n’est pas utilisée dans les médias.
L’écriture du menik a surtout été possible avec les travaux des missionnaires et il existe quelques travaux sur la culture bedik et la langue menik :
- Ceux de Marie-Paule Ferry, qui a été la pionnière et qui a réalisé beaucoup de travaux linguistes et ethnolinguistiques.
- Jacques Gomila, anthropologue a écrit le premier livre sur les Bediks: « Une étude sur l’hétérogénéité biologique ».
- Pierre Smith, ethnologue.
- NTM (New Tribes Mission), une mission évangéliste qui a réalisé des syllabaires pour l’alphabétisation en menik et qui a traduit la bible.
- Sophie Wade qui a fait ses travaux de mémoire de maîtrise sur le système verbal du menik.
- Adjaratou Sall, entrain de faire une documentation de la culture bedik et une description grammaticale de la langue menik avec l’appui de ELAP (Endangered language Academic Program) de la Fondation Hans Rausing et du projet Sénélangues.
Précisions historiques et ethnographiques
La patronymie des Bediks ressemble fort à celle des Mandinka. Les noms de clan sont Keita, Kamara, Samoura, Kanté et Sadiakhou. Mais ils ont des noms de famille en menik.
La culture bedik a beaucoup de similitudes avec la culture mandingue, l’histoire relatée fait référence à la migration du clan keita qui viendrait du Mali et se serait installé dans la zone de Bandafassi, et plus précisément à Ethiowar pour fuir les guerres.
Leur implantation dans cette zone remonte vers la fin du 13ème siècle et le début 14ème siècle. Les deux villages bediks les plus anciens seraient Etyowar et Iwol.
Plusieurs autres villages se sont créés ensuite, au pied des massifs, autour de Ethiowar et de Iwol. Dans le Bandafassi, sous le massif d’Etyowar, Indaar qui était un espace de culture est devenu un espace d’habitation à cause du manque d’eau à Etyowar, il en est de même pour Bañang.
Près du massif de Bangomba se situent les villages de Bandata et Thiobo, dont les habitants seraient originaires d’Etyowar.
Autour du massif de Bademba, se situent d’autres villages bediks Iwol, Eces haut, Eces bas, Anjel, et de villages plus récents, habités à l’origine par des Bediks venant d’Iwol : Mangama, Dambukoy, Nyinefeša (actuel Ninefescha) et enfin Usunkala, Kurungoto, Madaces, Sinthouroudji à proximité presque immédiate de la Guinée.
Précisions linguistiques et sociolinguistiques
Le menik a un système complexe de préfixes de classes nominales, d’alternances consonantiques et de classes tonales.
Il est en contact avec le pulaar, l’oniyan et le wamey dans la zone de Bandafassi, le malinké dans la localité de Bandata. Il emprunte ainsi beaucoup de mots à ces langues.
Des emprunts également au wolof, langue majoritairement parlée au Sénégal et au français, langue officielle du Sénégal, par laquelle la plupart des Bediks s’expriment du fait de la scolarisation, sont notés dans les grandes villes comme Dakar, Mbour, Tambacounda.
En résumé, le menik peut être décrit comme une langue parlée par la majorité des bediks qui sont favorables à la revalorisation de leur langue, mais qui constituent un petit groupe linguistique au Sénégal.
La recherche sur la langue est encore très limitée. Bien qu’il soit doté d’un décret qui fixe l’orthographe de la langue, le menik n’est pas considéré dans le programme scolaire et est très influencé par le pulaar, le français, le malinké et le wolof.
Sources & bibliographie
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Liens
Journal Officiel N° 6258 du Samedi 7 Janvier 2006, Récépissé. Décret n° 2005-985 du 21 octobre 2005 relatif à l’orthographe et la séparation des mots en menik, Journal Officiel République du Sénégal, Secrétariat général du Gouvernement.
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