Imprimer |
Le geviya
Page réalisée par Lolke van der Veen, 2010. Professeur de Linguistique à l’Université Lumière-Lyon 2, membre titulaire du laboratoire Dynamique du Langage (DDL, UMR 5596).
Données sur la langue geviya
Noms alternatifs :
gevia (forme orthographique rejetée par les Eviya), avia (19ème siècle), ivéa.
Dialectes et variantes :
Quelques variations s’observent entre les derniers locuteurs de cette langue, notamment au niveau des profils mélodiques. Il est probable que ces variations sont dues au multilinguisme des locuteurs (les autres langues parlées affectant le geviya de manière inégale, d’un locuteur à l’autre) et au fait que leur langue est en train de se désintégrer.
Classification :
Niger-congo, bantu, B30
Le geviya est une langue bantu (bantu du Nord-Ouest) référencée B301 d’après la classification de Maho (2003).
Aire géographique :
Le geviya est parlé dans la partie centrale du Gabon, dans un seul et unique village situé sur la rive droite de la Ngounié, en face de la ville (préfecture) de Fougamou. On trouve encore des traces d’anciens villages situés plus en retrait, en brousse, à l’est du village actuel. Par ailleurs, d’autres locuteurs de cette langue vivent de nos jours disséminés dans les grands centres urbains, à Libreville en particulier.
Nombre de locuteurs :
Le nombre d’Eviya (les locuteurs de geviya) est estimé à quelque 400 individus. Comme ils vivent éparpillés dans l’espace national, il est très difficile d’obtenir un chiffre très précis. Dans les recensements officiels organisés par l’Etat gabonais, les Eviya sont systématiquement regroupés (confondus ?) avec d’autres groupes. Cependant, les linguistes estiment que le nombre de bons locuteurs ne dépasse pas les deux dizaines !
Statut de la langue :
Bien qu’ayant le statut de langue nationale, comme toutes les autres langues autochtones du Gabon d’ailleurs, le geviya est très fortement menacé de disparition à l’heure actuelle. Il doit être classé parmi les langues très minoritaires et moribondes.
Vitalité et Transmission :
La transmission intergénérationnelle est en cours d’interruption. Les enfants continuent de comprendre la langue (maîtrise passive) mais répondent généralement en français aux générations ascendantes. Entre eux, les enfants communiquent en français, la langue qu’ils apprennent et utilisent à l’école. Cette situation atteste donc d’un bilinguisme d’inégalité. Depuis la parution du dictionnaire geviya-français en 2002 (voir référence), on note un certain regain d’intérêt pour la langue parmi les jeunes Eviya mais il serait illusoire de penser que cet événement pourrait inverser le processus de disparition dans le contexte actuel de mondialisation et de crise économique.
Médias, diffusions, et enseignement :
Cette langue n’est pas utilisée en dehors de ses locuteurs. Elle n’est guère connue au Gabon. Aucune langue vernaculaire n’est utilisée dans l’enseignement au Gabon. Toutefois, depuis 2003, les Eviya possèdent leur propre dictionnaire (près de 6 600 entrées) grâce à une collaboration d’une quinzaine d’années entre Lolke van der Veen, Sébastien Bodinga-bwa-Bodinga et Moïse Modandi wa-Komba (voir référence). Cette initiative est venue de Sébastien Bodinga-bwa-Bodinga qui, dans les années 1980, a constaté que sa langue était menacée de disparition. Dès lors, il s’est mis à collecter du vocabulaire, des exemples d’énoncés, des proverbes, des récits et des éléments de pharmacopée. Ce travail de collecte accompli, il a fait appel à Lolke van der Veen et à son neveu Moïse Modandi wa-Komba pour l’aider à vérifier, à compléter et à finaliser ce travail immense.
Précisions historiques et ethnographiques
L’explorateur Paul Du Chaillu a rendu visite aux Eviya lors de sa première expédition au Gabon (entre 1857 et 1859) et a brièvement commenté leur habitat. Du Chaillu a également décrit les chutes de l’Impératrice Eugénie qui se trouvent à proximité de ce village. Selon les Eviya, ces chutes sont habitées par un couple de génies et leur enfant, grands spécialistes de la forge.
D’après les récits migratoires, les Eviya seraient descendus de la région de l’Ogooué-Ivindo (nord-est Gabon) en compagnie de leurs frères mitsogo, apindji, okandé, pové et himba. Ils se seraient installés dans la région actuelle après un séjour prolongé dans des lieux situés à proximité de la mer. Le motif de ce déplacement peut être cherché dans la menace de la traite des esclaves, symboliquement représentée dans les récits par l’arrivée d’un grand aigle effrayant qui saisissait les gens avec ses griffes afin de les arracher d’entre les leurs.
Les Eviya pratiquent plusieurs rites initiatiques dont le Mogesi a Eviya. Le terme mogesi signifie ‘génie’. La pratique de tels rites relève de sociétés secrètes. Celles-ci peuvent être masculines, féminines ou mixtes.
Précisions sociolinguistiques
Les Eviya parlent tous au moins deux langues autochtones, la leur et l’eshira (bantu B41). Beaucoup parlent également le getsogo (bantu B31), une langue très proche du geviya. La majeure partie d’entre eux parlent également couramment le français. Le geviya n’est utilisé qu’au village et, en dehors de ce contexte, seulement dans l’environnement familial entre membres de la communauté et d’ailleurs avec de plus en plus de discrétion, notamment en présence de personnes ne parlant pas la langue.
Précisions linguistiques
Déjà dans les années 1987, le linguiste Jean Alain Blanchon avait décrit le geviya comme une langue mixte. Des recherches plus approfondies (Van der Veen 2003) ont montré que le geviya appartient fondamentalement au groupe linguistique B30 (groupe tsogo), mais qu’il a emprunté une bonne partie de son vocabulaire à l’eshira (ou gisir ; bantu B41), la langue parlée sur l’autre rive et qui, pour l’instant, se maintient mieux que le geviya. Les mariages entre Eshira et Eviya sont fréquents.
Quelques mots en geviya
- Un proverbe qui va droit au but :
Ìmá à tɔ̀ndɔ́ mbùà, tɔ̀ndɔ̀ ná góné mìnɛ̀kà myèndì.
Traduction : Si tu aimes un chien, aime aussi ses puces.
Sens : Si tu épouses (litt. aimes, veux) une femme, tu dois aussi prendre en change (litt. aimer, vouloir) ses parents. (Proverbe prononcé à l’occasion d’une demande en mariage et adressé au futur époux par l’oncle de la fille, les Eviya étant matrilinéaires.)
- La devise des Eviya :
Nà ndè mòvìyá Ngɔ̀lɛ̀ kɛ̀mbɛ̀lɛ̀ kɛ̀mbɛ̀lɛ̀ mìnó gà èpà.
Traduction : Je suis un authentique Eviya (Moviya), en chair et en os. (Litt. « les dents blanches étincelantes comme des os ».)
Le nom Ngɔlɛ renvoie à la mère mythique du groupe.
Bibliographie
Blanchon, J. A., Van der Veen, L. J. (1990). « La forge de Fougamou : deux versions en langues vernaculaires ». Pholia, 5, CRLS, Université Lumière-Lyon 2, pp. 49-65.
Bodinga-bwa-Bodinga, S., Van der Veen, L. J. (1993). « Plantes utiles des Evia : pharmacopée ». Pholia, 8, pp. 27-66.
Bodinga-bwa-Bodinga, S., Van der Veen, L. J. (1995). Les proverbes evia et le monde animal, La communauté evia à travers ses expressions proverbiales. Paris, L’Harmattan. 96 p.
Van der Veen, L. J. (2001). « La propagation des tons et le statut des indices pronominaux précédant le verbe en geviya ». Actes du colloque Clitiques et cliticisation. Bordeaux. Octobre 1998. Muller, C. (ed.) : Honoré Champion, pp. 443-457.
Van der Veen, L. J. (2003). « The B30 Languages ». Nurse, D. & Philippson, G. (eds.), The Bantu Languages. Londres, Routledge, pp. 371-391.
Van der Veen, L. J. (2006). « Gabon: Language situation ». In Brown, K. (ed.), Encyclopedia of Language and Linguistics (ELL2), Second Edition, Oxford, Elsevier Ltd.
Van der Veen, L. J. (2010). « Le dictionnaire : film documentaire de Laurent Maget ». Grinevald, C. et Bert, M. (eds.) Locuteurs de langues en danger et travail de terrain sur des langues en danger. Collection « Bibliothèque ». Paris, Faits de langue (Numéro spécial de la revue Faits de langue). Disponible en ligne.
Van der Veen, L. J., Bodinga-bwa-Bodinga, S. (2002). Gedandedi sa Geviya, Dictionnaire geviya-français. Collection Langues et littératures de l’Afrique Noire. XII. Dirigée par G. Philippson, Leuven-Paris, Peeters Publishers. 569 p.
Liens
Site de Laurent Maget, qui a tourné un documentaire sur le travail de Van der Veen et de Bodinga-bwa-Bodinga sur le geviya (documentaire intitulé Le dictionnaire). Le film est consultable en ligne.
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org