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Famille des langues guahibo
Fiche réalisée d’après les renseignements fournis par Francesc QUEIXALÓS, Docteur-ès-Lettres et directeur de recherche au CNRS, directeur du Centre d’Etudes des Langues Indigènes d’Amérique – CELIA, et linguiste spécialiste des langues amazoniennes.
Où sont parlées les langues guahibo?
Les langues guahibo sont parlées en Colombie, et dans une moindre mesure au Venezuela. Ces langues sont parlées plus précisément dans une zone s’étendant, sur un axe ouest-est, de la région attenante au piémont andin au fleuve Orénoque, et sur un axe nord-sud entre les fleuves Arauca et Guaviare.
Elles sont parlées dans une région entourée par des langues appartenant aux familles suivantes : arawak (achagua et piapoco), saliba (piaroa et saliba), kakua-nukak (nukak), chibcha (tunebo), pamigua (tinigua), ainsi que deux isolats (pume – ou yaruru – et puinave – ou wânsöhöt).
Nombre total de locuteurs (estimations) :
Les estimations du nombre de locuteurs des langues guahibo varient grandement : environ 34 450 (Queixalós, 1993), 23 000 selon les chiffres donnés par Dixon & Aikhenvald (D&A, 1999), environ 40 000 selon le site ethnologue.com (SIL). Les chiffres donnés par l’UNESCO sont trop parcellaires pour permettre une évaluation de la population globale. En prenant en compte les différentes estimations, on peut donc imaginer que ces langues comptent entre 20 000 et 40 000 locuteurs.
Classification
Bien qu’une incertitude ait longtemps demeuré quant à la parenté de la famille guahibo (souvent rapprochées des langues arawak), tous les auteurs s’accordent aujourd’hui à dire que les langues guahibo constituent une famille indépendante : Gilij (1782), Rivet (1948), Mason (1950), McQuown (1955), Castellvi& Espinosa (1958), Ortiz (1965), Lobo-Guerrero (1979), et Tovar&Larrucea de Tovar (1984).
En ce qui concerne la classification interne des langues guahibo, elle comporte elle aussi de grandes difficultés :
- Tout d’abord, les langues de cette famille sont très proches les unes des autres et s’influencent mutuellement comme le font souvent les langues en contact, on peut même parler de continuum linguistique pour le sikuani et le cuiba.
- Ensuite, les dénominations mêmes des langues posent parfois problème : d’une part elles peuvent varier suivant le groupe concerné, et à l’inverse, deux langues différentes peuvent avoir une dénomination très proche voire identique chez certains groupes.
Distinguer langues, continuum linguistiques et dialectes est dès lors compliqué, et établir un nombre précis de langues est sans doute hasardeux. Cela étant posé, les sources s’accordent généralement sur quatre langues principales, telles qu’établies par Francesc Queixalós (à paraître) :
- Cuiba : autour de 3000 locuteurs selon Queixalós (1993), 2 445 locuteurs selon l’UNESCO (recensement de 1993), 2 830 selon SIL et 2 000 selon D&A (1999).
- Sikuani : plus de 30 000 locuteurs selon Queixalós, 34 614 locuteurs selon l’UNESCO et SIL, et 20 000 selon D&A
- Guayabero : environ 1200 locuteurs selon Queixalós, 1118 selon l’UNESCO, 2000 locuteurs selon SIL et 800 selon D&A
- Hitnü : 250 locuteurs selon Queixalós, 1 010 locuteurs selon SIL et 180 selon D&A.
Les sikuani et cuiba forment en réalité un continuum dialectal. Ces langues montrent suffisamment de différences d’un bout à l’autre de leur continuum pour les considérer comme deux langues distinctes, avec quelque part au milieu de ce continuum les variantes yamoti et guahibo playero (cette dernière était encore récemment considérée comme une langue à part entière par Dixon & Aikhenvald, 1999).
Parmi les langues guahibo, le hitnü serait plus proche du sikuani que du cuiba. Le guayabero quand à lui serait la langue la plus éloignée des autres, et n’aurait pas de variante.
Précisions dialectales
Après avoir recueilli des données sur place et effectué des entretiens avec des locuteurs dans différentes régions du territoire concerné, Francesc Queixalós (1993) distingue par ailleurs 17 variétés de l’ensemble guahibo que l’on peut classer parmi les 4 langues précédemment mentionnées :
Le guayabero (également appelé churoya, cunimia ou mitua), n’aurait qu’une seule variante, parlée en amont et le long de la rivière Guaviare.
L’hitnü (ou macaguane) compterait deux variantes, aucune des deux n’ayant d’appellation propre : la première serait parlée dans la région de la rivière Colorado, affluent de l’Ele, et la seconde dans la région du Cuiloto, également un affluent de l’Ele.
Le sikuani (ou guahibo, wahiva, hiwi), ou plus précisément la partie sikuani du continuum sikuani-cuiba dont nous parlions précédemment, compterait quant à lui sept variantes (Queixalós, à paraître) :
Nom de la variante (ainsi que ses noms alternatifs) | Endroit où cette variante est parlée |
Parawa | Bas-Vichada |
Waü | Moyen et haut-Vichada et Casanare, en bas et moyen-Guaviare, dans la partie vénézuélienne du Moyen-Orinoco, et dans la zone du Manapiare, un affluent du Ventuari. |
Hamorua | Dans l’interfluve entre le Meta et le Tomo, et près de l’Aguaclara, un affluent du Casanare |
Newüthü (ou tigrero) | Bas-Guaviare, et dans la zone du Siare, un affluent du Guaviare |
Xuraxura | Tuparro, un affluent de l’Orinoco |
Yamalero (ou yamarero, mayarero, mariposo) | Ariporo et Cinaruco, un affluent de l’Apure |
Guahibo playero (ou mayaraxi, pepohiwi, bayonero) | Dans la région d’Arauca |
Le cuiba (ou cuiva), ou plus précisément la partie cuiba de ce même continuum sikuani-cuiba compterait là aussi sept variantes (Queixalós, à paraître) :
Nom de la variante (ainsi que ses noms alternatifs) | Endroit où cette variante est parlée |
Yamoti (ou, wipiwi, cuiba) | Bas-Tomo et Aguaclarita, un affluent de l’Aguaclara |
Chiricoa | Haut-Ele |
Hiwi | Haut-Capanaparo |
Omkhi (ou wamonae) | Dans la région du Mochuelo, un autre affluent du Casanare |
Iguanito (ou casibara) | Haut-Ele |
Maiben (ou masiware) | Région de l’Ariporo, autre affluent du Casanare |
Siripu (ou pekhe) | Dans la région de l’Aguaclara |
Statut des langues guahibo
Toutes les langues guahibo sont actuellement en danger, beaucoup de leurs locuteurs se tournant de plus en plus vers l’espagnol (en particulier les locuteurs du guyabero et des variantes du sikuani parlées au Venezuela). Le cuiba est listé comme « sérieusement en danger » par l’UNESCO, le guayabero comme « en danger », et le sikuani est quant à lui considéré comme « vulnérable » (voir le document « Auto-diagnóstico sociolingüístico de la lengua Sikuani » en bibliographie), avec un tiers des sikuani qui seraient encore monolingues (Queixalós, 1993) et un recul de la transmission inter-générationnelle.
Précisions ethnographiques
Durant ces derniers siècles, les groupes guahibo ont connu un lent processus de sédentarisation par rapport à leur ancienne vie nomade.
Parmi les sikuani, ce phénomène de sédentarisation a été provoqué par leur contact avec les sociétés arawak, qui ont non seulement influencé leur langue mais également d’autres aspects culturels tels que leur cosmogonie.
De nombreux groupes nomades guahibo ont longtemps continué leurs pratiques de chasse et cueillette, mais de plus en plus se sont installés sur les rives des fleuves pour vivre de l’agriculture après avoir été convertis par les missionnaires. Aujourd’hui encore certains groupes continuent une vie semi-nomade, changeant de village tous les 5 ou 6 ans, ou pratiquent une itinérance saisonnière. Il semble cependant que le mode de vie pleinement nomade de ces populations ait réellement disparu.
Sources
Queixalós, F. ‘Lenguas y dialectos de la familia lingüística guahibo’ Estado actual de la clasificación de las lenguas indígenas de Colombia, Rodríguez de Montes, M. L. (ed.) 189-218 (1993).
Epps, Patience & Lev Michael (eds) (à paraître) AmazonianLanguages, An International Handbook Berlin, de Gruyter Mouton.
Dixon, R.M.W & Aikhenvald, A.Y. “Other small families and isolates” . Dans The Amazonian languages, R.M.W. Dixon and Alexandra Y.Aikhenvald, Cambridge University Press (1999).
Campbell, Lyle. American Indian languages: the historical linguistics of Native America. Oxford: Oxford University Press (1997).
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