Imprimer |
22 novembre 2016 : les langues sifflées détiennent-elles des clés pour comprendre le langage humain ?

(Credit: Mapping Specialists; Source: Whistled Languages: A Worldwide Inquiry on Human Whistled Speech, by Julien Meyer. Springer-Verlag, 2015)
Saviez-vous que certaines langues se sifflent autant qu’elles se parlent ? Les langues sifflées font partie de ces curiosités linguistiques qui amusent et fascinent, bien que peu de recherches n’aient été effectuées à leur sujet avant les années 2000.
Il a été récemment découvert que 70 peuples à travers le monde utilisaient des langues sifflées (voir carte ci-contre) ! Une manne pour les linguistes, selon lesquelles ces langues peuvent permettre de mettre en lumière certains fonctionnements du cerveau humain.
Tout d’abord, les langues sifflées ne sont pas des langues à proprement parler, mais des versions sifflées des langues locales. Par exemple, le célèbre silbo, la langue sifflée de l’île de la Gomera aux Canaries, est en fait de l’espagnol « transformé » en sifflement. Et c’est justement cela qui intéresse les linguistes, phonéticiens, psycholinguistes, sociolinguistes ou même bioacousticiens : comment des mots d’une langue, des consonnes, des voyelles, peuvent-ils être traduits en notes et demeurer intelligibles, parfois même à plusieurs kilomètres de distance (là où l’intelligibilité du langage parlé survit rarement après quelques dizaines de mètres) ? Et pourquoi de tels systèmes sont-ils apparus ?
A une époque où n’existaient encore ni téléphones portables, ni internet, ni mail, il était obligatoire pour certaines populations vivant dans des endroits isolés d’avoir un moyen de communiquer à longue distance.
Les langues sifflées sont utilisées dans un grand nombre de situations : tenir des conversations quand plusieurs kilomètres des montagnes vous séparent de votre interlocuteur bien sur, mais aussi communiquer dans des endroits bruyants, échanger des secrets en présence de personnes ne sachant pas siffler, ou encore aider à la chasse (les animaux reconnaissant la voix humaine comme une menace, mais pas les sifflements).
Les recherches sur ces langues ont démontré la capacité du cerveau humain à reconnaître et déduire des mots dans des phrases portant moins de « signal acoustique » qu’une phrase produite par la voix humaine. C’est donc une manière formidable d’explorer les capacités d’adaptation du cerveau.
Mieux encore, on a demandé et des personnes n’ayant jamais été en contact avec une langue sifflée d’écouter un extrait de silbo de la Gomera. La plupart des personnes étaient capables de reconnaitre les voyelles sifflées correspondant aux sons de la langue espagnole ! Preuve qu’il y a dans les langues sifflées quelque chose de naturel pour les humains.
En neurobiologie également, l’étude des langues sifflées a pu démontrer que, alors que l’hémisphère gauche du cerveau est traditionnellement reconnu comme étant celui en charge du langage, les siffleurs pouvaient utiliser leurs deux hémisphères, et que lorsqu’ils écoutaient des sifflements quelconques, les mêmes régions que celles prenant en charge la langue s’activaient dans leur cerveau.
Les nombreuses études qui sont en train d’être effectuées partout dans le monde sur les langues sifflées continuent d’apporter leur lot de découverte dans nombreux champs d’investigations, et pourrait nous aider à comprendre bien d’autres choses utiles sur le cerveau.
Ces langues méritent tout autant que les langues parlées d’être sauvegardées, et des efforts de promotion et d’enseignement ont notamment été engagés dans les Canaries pour faire perdurer le siblo. Elles sont en effet elles aussi les gardiennes d’une forme particulière d’expression et de perception du monde et ont bien des choses à nous enseigner.