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Les Samis : un peuple exemplaire dans sa capacité à allier mode de vie traditionnel et modernité
Posté par Marie Roué le 15 décembre 2011
Marie Roué est ethnologue et directrice de recherches au CNRS / Museum d’histoire naturelle. Spécialiste des peuples arctiques, elle connait et étudie les Samis depuis 1969.
Photo: Marie Roué en costume sami traditionnel
Les Samis vivent dans un territoire qu’ils appellent Sapmi (Laponie) et qui s’étend sur 4 pays : la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie. Malgré les frontières et les législations différentes dans chaque pays, les Samis gardent une unité très forte tant linguistique que culturelle.
Les origines
Les premières traces de vie trouvées par les archéologues dans cette région sont celles des ancêtres des Samis : ce sont les traces d’un campement près de la mer sur l’île de Sørøya en Norvège, daté entre 11 000 et 8 000 ans avant JC.
On trouve ensuite des preuves archéologiques montrant que des groupes de chasseurs pêcheurs samis s’aventurent dans l’intérieur des terres en Laponie suédoise : ils y chassent déjà le renne sauvage et l’élan. Le climat était alors bien plus chaud qu’aujourd’hui, avec des hivers plus doux, et des étés plus mouillés.
A partir du XVIIe siècle, la colonisation et la christianisation prennent de l’ampleur : on tente en employant la méthode forte de convaincre les Samis d’abandonner leur religion traditionnelle, le chamanisme. On va même parfois jusqu’à brûler les chamans avec leurs tambours. Une partie des croyances des ancêtres est pourtant encore vivante aujourd’hui, même si elles sont difficiles à repérer parce qu’elles se sont mélangées à d’autres religions et cultures.
Combien sont-ils aujourd’hui ?
La population samie est difficile à évaluer car dans chaque pays les critères sont différents. Peut être déclaré sami celui qui se déclare lui-même comme tel, ou celui qui parle la langue samie, ou dont au moins le père, la mère ou les grands-parents parlent sami.
On peut ainsi estimer qu’il y aurait environ 70 000 Samis, dont 2 000 vivraient en Russie, 6 000 en Finlande, 40 000 en Norvège et 20 000 en Suède.
Un peuple d’éleveurs de rennes : mythe ou réalité ?
A l’origine, les Samis étaient des chasseurs pêcheurs cueilleurs. Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’ils sont passés à l’élevage, en grande partie à cause de la colonisation scandinave qui a diminué la population d’animaux sauvages.
Aujourd’hui, les éleveurs de rennes sont une minorité : en Suède par exemple, ils sont 2000 à en vivre, c’est-à-dire environ 10% des Samis.
Pour le reste, beaucoup d’entre eux ont émigré vers les grandes villes du sud pour pratiquer des métiers plus « classiques », et d’autres ont repris leur activité de pêcheurs traditionnels, malgré la forte concurrence de la pêche industrielle.
Car les difficultés sont nombreuses pour les éleveurs. L’exploitation de la richesse minière de leur territoire et le développement de l’industrie forestière menacent les pâturages de lichen dont dépendent les rennes pendant neuf mois de l’année.
Des avancées politiques
Les Samis continuent à défendre leurs droits politiques et territoriaux, qui sont progressivement reconnus.
Ils ont déjà un parlement en Suède et en Norvège. En Suède, ce parlement n’avait à l’origine que très peu de droits : il devait restreindre son action au domaine de la culture et ne pouvait intervenir sur les questions économiques. L’élevage du renne relevait du ministère de l’agriculture, donc de l’Etat suédois.
Aujourd’hui, le parlement sami a de plus en plus un rôle socio-économique : il s’occupe en particulier de l’élevage et des relations avec le gouvernement quand survient une année critique qui nécessite une aide de l’Etat.
Des questions importantes comme celle des animaux de proie sont également de son ressort : le loup, l’aigle, le lynx, le glouton etc. sont autant d’espèces protégées, qui se nourrissent des rennes. La question se pose ici de savoir si le pays des Samis peut servir de garde-manger à toute la vie sauvage que la Suède et le monde en général veulent préserver, sachant que cela se fait au détriment des éleveurs de rennes.
Un peuple très attaché à son mode de vie et à sa culture
L’attachement des Samis à leur culture est vraiment remarquable. Ils ont une relation à ce paysage, à ce pays, à ce mode de vie qu’ils perpétuent, malgré les difficultés matérielles et économiques. Ils savent que s’ils abandonnent, leur lignée s’arrêtera et leurs enfants ou petits-enfants ne pourront plus reprendre l’élevage. Ils continuent donc pour eux-mêmes, mais aussi pour transmettre.
Et ils ne manquent pas d’humour pour commenter la complexité de leur situation. Un de mes amis des montagnes suédoises me disait en riant : « Comme il n’y a plus grand-chose à faire cet été, je vais partir en vacances travailler comme cantonnier en Norvège parce qu’on y gagne plus d’argent qu’en Suède, et avec cet argent, je pourrai continuer l’élevage à la rentrée ».
Ils ont confiance en leur capacité d’adaptation, même aux changements climatiques, mais ils s’interrogent : « Le nomadisme a toujours été notre mode de vie : s’il n’y a plus de ressources ici, on va là. Mais quand il y aura un aéroport à tel endroit, une ville à tel autre, des forêts protégées à tel autre, comment va-t-on continuer ? »
Les Samis sont aujourd’hui au carrefour de questions majeures de notre époque : comment rester traditionnel tout en étant moderne, comment être soi-même sans se folkloriser ? Ils développent des stratégies pour répondre à toutes ces questions, et on peut dire qu’ils sont assez exemplaires dans leur courage à relever tous ces défis de la modernité.
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Voir aussi la fiche Sorosoro sur les langues sames.