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Le poitevin-saintongeais
Page réalisée par Simon Couturier, 2016
Données sur le poitevin-saintongeais
Noms de la langue : poitevin-Saintongeais.
Noms alternatifs : parlanjhe, poetevins-séntunjhaes
Classification : famille des langues indo-européennes, sous-famille des langues romanes (ou gallo-romanes), branche des langues d’Oïl.
Aire : située dans l’ouest de la France, l’aire linguistique du poitevin-saintongeais couvre grosso modo la région Poitou-Charente et le département de la Vendée. Au nord, la zone de transition linguistique entre le poitevin-saintongeais et les autres langues d’oïl se situe juste au sud de Loire. La frontière sud de cet ensemble linguistique, moins floue car réprésentant également la frontière entre langues d’oïl et langue d’oc, est marquée par l’estuaire de la Gironde est une petite partie de la Dordogne. La frontière suit les limites est du département de la Vienne et coupe en deux le département de la Charente.
Il existe également, au sud de cette région et à l’est du département de la Gironde, une petite zone isolée (« enclave de Montségur » ou « Petite Gavacherie ») où l’on parle Saintongeais en plein milieu d’une aire linguistique pourtant occitane.
Nombre de locuteurs : aucune enquête officielle n’existe concernant le nombre de locuteurs du Poitevin-Saintongeais et il n’est pas possible de connaître la réalité des chiffres. Il est cependant clair que le nombre de locuteurs est relativement bas et concerne une population assez âgée noyée parmi les quelque 2 000 000 de personnes vivant dans cette aire géographique.
Statut de la langue : de même que pour toutes les autres langues de France, le poitevin-saintongeais ne bénéficie pas du statut de langue officielle, le français étant la seule langue officielle de France. Le président du conseil régional du Poitou-Charentes a désigné, par arrêté du 19 décembre 1995, les membres d’un « groupe de travail sur la langue poitevine-saintongeaise » (composé de conseillers régionaux, d’universitaires, d’associatifs), cette action étant ce qui se rapproche le plus d’une officialisation pour la langue au niveau régional.
Vitalité et transmission : La langue est considérée par l’UNESCO comme sévèrement en danger. Comme dit précédemment, le poitevin-saintongeais (dans ses deux grandes variantes, poitevin et saintongeais, et ses nombreux dialectes) est parlé par une population vieillissante et le nombre de nouveaux apprenants est extrêmement bas. La langue est cependant encore pratiquée au quotidien dans les villages par ses locuteurs natifs, plusieurs cas des personnes uniquement monolingues en poitevin-saintongeais ont même été rapportés chez les locuteurs les plus âgés.
Le poitevin-saintongeais a également laissé une trace indéniable dans la langue de tous les jours : de nombreux mots et expressions ont influencé le français parlé dans cette région tels que grole (corbeau), drolles (enfants), cénse (serpillère), ramasse-bourié (pelle à poussière), bouliter (épier, regarder par une ouverture avec curiosité), ou encore « barrer la porte » (fermer à clé) et « débaucher »/ « rembaucher » (rentrer du travail/retourner au travail). Il y a aussi un grand nombre de mots du poitevin-saintongeais dans la langue courante qui ne trouvent pas exactement de traduction en français tels que « garocher », qui signifie lancer de petits objets de manière négligente, parfois à quelqu’un (ce mot peut d’ailleurs se retrouver en français québecois moderne, ce français ayant été lourdement influencé par le poitevin-saintongeais à l’époque de l’installation au Canada de nombreux colons français qui provenaient de l’ouest de la France).
Enseignement : Il est possible d’apprendre le poitevin-saintongeais en option à l’université de Poitiers (il y avait une vingtaine d’étudiants en 2013, une trentaine en 2014), mais il n’y a cependant qu’un seul enseignant de cette langue au niveau universitaire dans toute la France. Une épreuve facultative de poitevin-saintongeais pour le concours d’entrée à l’IUFM a été organisée dans l’Académie de Poitiers. Des enseignements facultatifs ont été dispensés dans une dizaine de lycées et collèges des académies de Poitiers et de Nantes, suite à une décision du ministre de l’Éducation Nationale en 1982, mais ces cours n’ont pu être poursuivis, faute d’épreuve au baccalauréat. De son côté, l’Union Pour la Culture Populaire en Poitou-Charentes-Vendée (UPCP), fédération des associations locales, intervient régulièrement dans les écoles sur cette langue et sa culture (chants, contes).
Médias / Littérature : Il existe un journal trisannuel, Bernancio !, intégralement rédigé en poitevin-saintongeais et distribué par l’Arantèle, association pour la promotion de la langue poitevine-saintongeaise. La langue est présente à la radio mais dispose encore d’un temps d’antenne très faible : une heure hebdomadaire sur D4B (commune de Melle), un quart d’heure hebdomadaire sur Radio Accord (Poitiers) ainsi que 6 minutes hebdomadaires sur la station RCF Vendée. Le poitevin-saintongeais n’est plus présent à la télévision, bien qu’il l’ait été pendant dans les années 80 sur FR3 Limousin Poitou-Charentes puis plus tard sur Canal 15 (télé locale La Roche-sur-Yon), chaîne désormais arrêtée.
Il existe sur le territoire du Poitou-Charente et de la Vendée une quarantaine d’associations, toutes fédérées sous « L’Union pour la culture populaire en Poitou-Charentes-Vendée », actuellement « UPCP-Métive », une association loi 1901 dont le but est de promouvoir et défendre la culture poitevine et saintongeaise (via la langue mais aussi la culture régionale, chants, contes, danses, etc.). L’UPCP organise des festivals, des ateliers sur la langue poitevine-saintongeaise, des rencontres, et accompagne des artistes, amateurs et professionnels de la culture. L’association a également créé la maison d’édition Geste Editions, spécialisée dans la culture régionale. La collection « Parlanjhe » de cette maison d’édition compte une quarantaine d’ouvrages traitant du poitevin-saintongeais, que ce soit des dictionnaires, grammaires, livres de contes, d’histoires etc.
Précisions historiques / ethnographiques / sociolinguistiques
La dualité de la langue poitevine-saintongeaise a souvent posé problème, celle-ci étant parfois considérée comme une seule langue, parfois comme deux langues distinctes (le poitevin et le saintongeais), ou encore comme un continuum dialectal où se bousculent de nombreux « parlers ». Une controverse a vu le jour et fut à l’origine de quelques conflits parmi les locuteurs dans le courant des années 2000, à l’heure où l’on reconnaissait enfin le statut de langues à ce qui était autrefois considéré comme des dialectes du français. L’État, à travers la DGLFLF, organisme du Ministère de la Culture, a régulièrement changé l’appellation officielle de cette ou ces langues, mentionnant tantôt dans sa liste des langues régionales françaises le poitevin-saintongais, tantôt le poitevin et le saintongeais séparément, avant de finalement opté pour la formule « poitevin-saintongeais [dans ses deux variétés : poitevin et saintongeais] » qui a récemment été simplifiée en «poitevin-saintongeais (poitevin, saintongeais) ».
Comme c’est le cas pour toutes les langues régionales de France, le poitevin-saintongeais a longtemps été considéré comme un patois. Du fait de sa grande proximité linguistique avec le français, il était facile aussi bien pour les autorités que pour les locuteurs de ne pas voir là une autre langue mais plutôt un français déformé. La population parlant cette langue vivait pour la vaste majorité en milieu rural et, comme ce fut le cas pour toutes les langues d’oïl, la langue était alors systématiquement considérée comme un parler de paysans analphabètes, déformant les mots du « vrai » français. Cette étiquette extrêmement péjorative de langue de paysans illettrés, manquant de subtilité, a marqué les esprits et a poursuivi le poitevin-saintongeais jusqu’à nos jours. Beaucoup de personnes ne considèrent actuellement ce « patois » que comme une manière surtout comique et datée de s’exprimer, ce qui n’éveille aucune réelle fierté chez ses locuteurs et constitue un de principaux freins à la transmission et survie de la langue (selon Yannick Jaulin, célèbre artiste vendéen travaillant activement pour la survie du parlanjhe, «le plus gros ennemi du poitevin, c’est le Poitevin, trop timide et peu fier. »).
Notons que certains locuteurs du poitevin-saintongeais utilisent encore naturellement le terme « patois » à la place du mot « parlanjhe », ignorant parfois même l’existence de ce dernier mot qui est pourtant le terme correct dans leur langue pour désigner celle-ci.Le sursaut récent concernant l’intérêt pour les langues régionales et minoritaires, initié par la charte européenne de 1992, a cependant permis d’éveiller la curiosité du public et de multiplier les actions culturelles.
Précisions linguistiques
Bien que des différences parfois non négligeables puissent être effectivement notées entre les deux grandes variantes, poitevin et saintongeais (chacune des deux pouvant de plus être redécoupées en de nombreux dialectes), une unité linguistique est pourtant bien attestée dans cet ensemble depuis plusieurs siècles. Cette unité a été mise en évidence par de très nombreux spécialistes, aussi bien saintongeais que poitevins et autres, depuis Coquebert de Monbret dès 1831.
L’appellation « poitevin-saintongeais » ne verra vraiment le jour que dans les années 60. Les différences entre variantes poitevines et saintongeaises se trouvent surtout au niveau du vocabulaire, à l’exception notable de quelques points grammaticaux comme le pronom de la première personne du singulier « je » se disant « jhe » en saintongeais (même prononciation qu’en français) et « i » en poitevin. Ce dernier point est d’ailleurs une des grandes particularités du poitevin qui le distingue des autres langues d’oïl et qui peut parfois entraver l’intercompréhension entre locuteurs de cette branche linguistique (le mot « i » est plutôt assimilé, en français et dans la plupart des langues l’oïl, au pronom masculin de la troisième personne du singulier « il »).
Il est attesté que le parlanjhe n’est pas un dialecte du français, ceci sous-entendrait que la langue a évoluée à partir du français. Le parlanjhe et le français ont en réalité évolué en parallèle, en prenant tous deux comme point de départ le gallo-roman parlé sur le territoire français lors de la deuxième moitié du premier millénaire. Le poitevin-saintongeais serait donc le résultat de l’articulation d’une variante gallo-romane par les populations vivant dans cette zone à l’époque, comme le français moderne résulte de l’articulation du gallo-roman par les populations vivant dans le bassin parisien, ce phénomène étant le même pour toutes les langues d’oïl et leurs variantes dialectales.Tout en étant assez proche du gallo, le poitevin-saintongeais se distingue de ses sœurs langues d’oïl par des particularités communes avec l’occitan. La langue fait en effet office de transition linguistique entre les domaines d’oïl et d’oc et certains auteurs la qualifie même parfois de langue « franco-occitane ». On peut également lui trouver de nombreuses ressemblances avec le français acadien et québecois, suite aux colonisations du XVIIe siècle.
Une graphie normalisée de la langue a vu le jour dans les années 90, avec la sortie d’un dictionnaire et d’une grammaire officielle du poitevin-saintongeais (Michel Gautier, Grammaire du poitevin-saintongeais, Geste éditions, 1993 et Vianney Pivetea, Dictionnaire poitevin-saintongeais, Geste éditions, 1996), mais a là aussi suscité beaucoup d’opposition de la part de certains locuteurs. Cette orthographe s’écarte en effet de certaines normes orthographiques du français, rendant l’écriture de leur langue par les locuteurs habitués au français quelque peu déroutante (par exemple, le « j » du français s’écrit « jh », la diphtongue [ae] s’écrit « àe »). Cinq autres graphies normalisées furent proposées, mais c’est celle de Vianney Piveteau et Michel Gautier qui fut la plus diffusée et qui est enseignée aux néo-parlanjhopones.
Extraits
Le loup et l’agneau de La Fontaine en poitevin-saintongeais :
«In tout petit gna, in gna de l’annàie,
Qui venét a pénne d’étre détriai,
Buvét a la rouére ine réciàie,
A l’unbre d’in grand puplié.
Quant ll’at aghu bu d’eàu courante,
En tournant la tàete, pr asard,
Le vit ine bàete qu’avét l’aer méchante,
Qui se drcét desso in chagne taetard.
Al le regardét avéc envie ;
Un arét dit qu’étét in chén,
Mé pa queme lés chéns de moetaerie :
Ll ’avét lés poels béréde moén luns.
Étét le louc. Le vela qui s’aproche :
« Quement se fét o, dissit ell au gna,
Que tu véns boere men eàu so çhéte roche ?
Savàes tu pa qu’étét a màe ? »
Le petit gna trenbllét queme la félle :
« Si i avàe su qu’o ve dérenjhét,
Fit ell, i aràe bu den la sélle ;
Ine àutre foes, i ve dérenjherae poet.
– Assé, i veù pa que tu me répundes.
L’annàie dérgnére, tu m’as prtout
Fét passàe pr la goule dau munde,
Éspéce de sale moutun crotous !
– I vivàe pa l’annàie dérgnére,
I ae pa pu dire dau mal de vous.
– Si ét pa tàe, ol ét tun fraere.
I o sé bé que ve m’en veléz trtouts.
– İ sé tout seùl, queme ine pauvre petite bàete ;
I ae jhamae quenu ni fraere ni seùr.
– Assé, ét grand tenp qu’ol araete.
Ét o possiblle d’étre si menteùr !
Pi, apràe tout, pa tant de magnére,
I en ae assé de tés cunplliments. »
Le louc le prent den sa machoere,
Le l’écrapoutit entr sés dents.» (Source)
Extrait audio d’une variante saintongeaise :
Extrait audio d’une variante poitevine:
Sources/ Bibliographie Complémentaire/ Liens pour en savoir plus
http://www.metive.org/ (site de l’UPCP Métive)
http://www.arantele.org/ (site de l’association Arantèle)
http://www.arantele.org/bernancio.php (page du journal Bernancio !sur le site de l’Arantèle)
http://parlanjhe.asteur.fr/ (site de l’association Parlanjhe Vivant)
http://www.lanouvellerepublique.fr/content/search?SearchText=parlanjhe&ie=UTF-8 (articles sur le parlanjhe)
http://projetbabel.org/poitevin-saintongeais/index.php?p=presentation (plus d’informations quant à l’histoire du poitevin-saintongeais, l’unité attestée de cette langue double, les origines de son nom etc.)
Bibliographie sommaire:
Éric Nowak, Histoire et géographie des parlers poitevins et saintongeais, Geste éditions, 2010
Liliane Jagueneau, Le Parlanjhe de Poitou-Charentes-Vendée en 30 questions, La Crèche, Geste éditions, 1999.
Michel Gautier, Grammaire du poitevin-saintongeais.Parlers de Vendée, Deux-Sévres, Vienne, Charente-Maritime, nord Gironde, sud Loire-Atlantique, Mougon, Geste éditions, 1993.
Vianney Pivetea, Dictionnaire poitevin-saintongeais (poitevin-saintongeais français, français poitevin-saintongeais), La Crèche, Geste éditions, 1996, nouvelle édition revue 2006.
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