Imprimer |
Le koalib
Page réalisée par Nicolas Quint, chargé de recherche en Linguistique Africaine au CNRS dans le laboratoire Langage, Langues et Cultures d’Afrique Noire (LLACAN, INaLCO/CNRS-UMR 8135), 2010. Nicolas Quint est spécialiste des langues kordofaniennes (koalib, tira, ko, werni), des Créoles afro-portugais (capverdien et autres créoles afroportugais de l’Afrique de l’Ouest) et de langues romanes (occitan, aragonais).
Données sur la langue
Noms alternatifs : kawalib, kawaaliib
Classification : phylum Niger-Congo, embranchement kordofanien, famille : heibanien, sous famille : heibanien central
Principaux dialectes : gnougour, goumbri, gourane, Khadraoui, ondona, réré, Umm-Heitanien
Aire géographique :
- aire traditionnelle : Nord-Est de la province du Sud-Kordofan, également dénommée « monts Nouba » (République du Soudan), dans les villes d’Abri, Délami, Tongolé, Umm Berembeita, Umm Heitan et leurs environs ainsi qu’autour des djébels Gnougour et Turum.
- diaspora : plusieurs dizaines de milliers de Koalibs (peut-être même plus de 100.000) vivent dans les grandes villes du Nord-Soudan (en particulier Khartoum et Port-Soudan), dont de nombreux koalibophones.
Nombre de locuteurs : environ 100.000 (+/- 50.000) sur 200.000 personnes appartenant à l’ethnie koalibe.
Statut de la langue :
Non officielle, non enseignée, la langue jouit cependant d’un certain prestige auprès des communautés chrétiennes locales ; le Nouveau Testament en koalib est utilisé dans le culte y compris par des groupes non-koalibs (en particulier les Laro dans les monts Nouba, parfois mêmes des Heibans ou des Otoros en banlieue de Khartoum).
Vitalité et Transmission :
Dans les grandes villes nord-soudanaises (Khartoum, Port-Soudan), le koalib est abandonné par les jeunes (moins de 30 ans) au profit de l’arabe soudanais.
Cet abandon a aussi lieu mais dans une moindre mesure dans la partie du pays koalib sous administration nord-soudanaise (Abri, Délami, Umm Berembeita, Umm Heitan). Dans la partie du pays koalib sous administration sud-soudanaise (Tongolé – la capitale administrative koalibe sud-soudanaise – et villages avoisinants, Djébel Gnougour), le koalib reste la langue majoritaire du quotidien, il est toujours parlé par une proportion importante des enfants et appris par les Koalibs arabophones (ainsi que par les non-Koalibs mariés à des Koalibs) qui viennent s’installer dans la zone.
Le koalib est généralement mieux conservé chez les chrétiens que chez les musulmans, du fait du grand prestige du koalib comme langue du culte chez lesdits chrétiens, en particulier les membres de la SCOC (Sudan Church of Christ).
Dans les zones où on l’observe, la rupture de la transmission semble due en grande partie à la seconde guerre civile soudanaise, qui a ravagé le pays koalib à partir du milieu des années 1980 et en particulier en 1989 (destruction de la plupart des villages koalibs, migration massive des survivants vers les grandes villes nord-soudanaises, c’est-à-dire dans des zones non koalibophones).
Indépendamment de la guerre, la rupture de la transmission est aussi liée au fait que seul l’arabe est enseigné dans les écoles koalibes en zone gouvernementale et qu’un nombre croissant de familles koalibes ont pris l’habitude dans les dernières décennies d’utiliser l’arabe soudanais comme langue du quotidien (ce mouvement était probablement déjà amorcé, au moins dans certains villages, avant les années 1980).
Médias /Littérature/Enseignement :
Le dialecte réré du koalib a connu un développement littéraire depuis les années 1920, où il a été adopté par les missionnaires protestants anglo-saxons installés à Abri comme langue du culte.
Le Nouveau Testament a été traduit à deux reprises (1967 et 1993) en koalib (réré). Il existe aussi une traduction partielle de l’Ancien Testament, ainsi que plusieurs abécédaires et livres de lecture (matériel didactique utilisé par les missionnaires à Abri) et différentes publications (autres abécédaires, calendriers, histoires traditionnelles) produites plus récemment (années 1990) par des koalibophones vivant à Khartoum ou dans d’autres zones urbaines nord-soudanaises.
Une proportion non négligeable des koalibophones (plus de 10%, peut-être beaucoup plus), surtout parmi les chrétiens nés avant la seconde guerre civile soudanaise, sait lire le koalib (orthographié au moyen d’une graphie latine aménagée) et l’utilise dans le culte.
Du fait des liens étroits qui existent entre le koalib écrit et la religion chrétienne, le développement littéraire du koalib concerne surtout les Koalibs chrétiens (environ 60% de la population).
Certains Koalibs musulmans participent cependant activement aux débats sur la langue koalibe (dont de nombreux Koalibs souhaitent désormais le développement institutionnel, en particulier au niveau scolaire).
Précisions sociolinguistiques
Démographiquement, les Koalibs constituent l’une des principales ethnies autochtones du Sud-Kordofan (peut-être 10% de la population de cette province soudanaise, qui compte plusieurs dizaines de communautés de langue kordofanienne, kadouglienne ou nilo-saharienne). Il est à noter qu’un assez grand nombre de Koalibs (plusieurs centaines au moins) ont fait des études supérieures (au Nord-Soudan ou à l’étranger).
Dans les écoles des zones tenues par le gouvernement sud-soudanais, l’arabe a été remplacé au cours des années 1990 par l’anglais : une partie de la population scolaire koalibe est donc désormais formée dans une autre langue que l’arabe.
L’arabe soudanais reste cependant le principal véhiculaire (y compris en zone sud-soudanaise) utilisé par les koalibophones dans leurs contacts avec l’extérieur.
Précisions linguistiques
La diversité dialectale à l’intérieur du koalib est élevée : l’intercompréhension reste cependant généralement possible.
Cette intercompréhension est également facilitée par le rôle véhiculaire du dialecte réré à l’échelle de l’ethnie koalibe : beaucoup de koalibophones non-rérés sont capables de comprendre et souvent de parler cette variété de leur langue.
Précisions ethnographiques
Par ailleurs, le sentiment d’appartenance ethnique à la communauté koalibe est très développé.
Depuis l’arrêt des combats au Sud-Kordofan (2002), des conférences annuelles réunissant des représentants des Koalibs vivant au Sud-Kordofan ainsi que de la diaspora sont tenues alternativement dans une des villes du pays koalib, afin de permettre à l’ensemble des Koalibs de se prononcer sur les affaires concernant leur ethnie (délimitation du territoire par rapport aux groupes voisins, droits de la femme, protection de l’environnement, programmes scolaires…).
Sources et bibliographie
MacDiarmid, P.A. & D.N. (1931), «The Languages of the Nuba Mountains», in : Sudan Notes and Records, Nº14, pp. 149-162.
Nadel, S. F. (1978 [1947]), The Nuba, an Anthropological Study of the Hill Tribes in Kordofan, New York : AMS Press, 527 pp.
Omaar, Rakiya & De Waal, Alex (1995), Facing Genocide : the Nuba of Sudan, Londres : African Rights, 344 pp.
QUINT Nicolas (collecte du texte koalib et traduction française), KwôrróÑá ámròÑwê / Le pigeon et la fourmi / The pigeon and the ant, Paris, Éditions L’Harmattan, 2007, 16 p.
QUINT Nicolas [en collaboration avec Siddig ALI KARMAL KOKKO], Phonologie de la langue koalibe (dialecte réré), Paris, Éditions L’Harmattan, 2006, XV + 238 p.
QUINT Nicolas «Benefactive and Malefactive Verb Extensions in the Koalib Verb System», in : Benefactives and malefactives. Case studies and typological perspectives (dir. Seppo Kittilä & Fernando Zúñiga), Amsterdam / Philadelphia : John Benjamins, coll. Typological Studies.
QUINT Nicolas The Phonology of Koalib, a Kordofanian Language from the Nuba Mountains (Sudan), (traduction et adaptation anglaises de Phonologie de la langue koalibe), Cologne : Rüdiger Köppe, 2009, xviii + 206 p.
QUINT Nicolas, “Do you speak Kordofanian ?”, in : Proceedings of the 7th International Sudan Studies Conference, April 6th-8th, 2006, Bergen (Norvège), Éditions University of Bergen / Universitetet i Bergen [CD-ROM].
SCHADEBERG, Thilo C. (1981a), A Survey of Kordofan, Volume One, The Heiban Group, Hambourg, Helmut Buske Verlag, 199 pp.
SCHADEBERG, Thilo C. (1989), «Kordofanian», in : Bendor-Samuel (ed.), The Niger-Congo Languages, Lanham / New York / Londres : University Press of America, pp. 66-80.
STEVENSON, Roland C. (1956-1957), «A Survey of the Phonetics and Grammatical Structure of the Nuba Mountain Languages», in : Afrika und Übersee, Berlin, Band XL, Heft 2, pp. 73-115, Band XLI, Heft 1/2, pp. 27-65, Band XLI, Heft 3, pp. 117-196.
STEVENSON, Roland C. (1984), The Nuba People of Kordofan Province, Khartoum : University of Khartoum, 174 pp.
WILLIAMSON, Kay & BLENCH, Roger (2000), «Niger-Congo», in : Heine, Bernd & Nurse Derek (eds.), African Languages, An Introduction, Cambridge : Cambridge University Press, pp. 11-42.
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org