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Le cévenol
Fiche rédigée par Yves Gourgaud, professeur honoraire certifié en langue d’oc ; doctorat en linguistique d’oc ; doctorat en littérature française ; écrivain en langues d’oc (auvergnat-vellave, provençal, cévenol) ; auteur d’un dictionnaire cévenol-français (en cours d’élaboration, plus de 1350 pages à ce jour, mars 2017).
Données sur la langue cévenole.
Noms de la langue : cevenòu [sevenow, sebenow], cévenol en français.
Noms alternatifs : patouès [patwɛs], en français patois (on précise souvent : patois cévenol) NB : le mot « occitan » n’est utilisé que par les militants (très minoritaires) de l’idéologie graphique et linguistique occitaniste. Dans la région d’Alès (ville capitale des Cévennes), l’appellation raiòu [rajow], en français régional rayol, désigne la variante alésienne de la langue (dialecte central), l’expression lengo raiolo (langue rayole) servant de titre à une chronique en langue cévenole, cf. plus bas.
Classification : famille des langues indo-européenne, langue romane du groupe occidental, incluse dans le groupe des « langues d’oc ».
Aire géographique : Partie méridionale du département de l’Ardèche ; partie orientale du département de la Lozère ; moitié nord-occidentale du département du Gard ; dans le département de l’Hérault, cantons limitrophes avec le Gard, de Ganges jusqu’à Lunel ; dans le département de l’Aveyron, pays de Nant.
N.B. A l’exception de l’extrémité sud de la zone (de Sommières à Lunel), l’appartenance linguistique se renforce d’un très fort sentiment identitaire : le mot « Cévenol » y est partout revendiqué avec fierté, ce que prouvent les innombrables établissements touristiques et commerciaux qui ont dans leur appellation les mots « Cévennes » ou « Cévenol », du type « Cévennes carburants », « Cévennes magazine », etc.
Nombre de locuteurs :
Faute d’enquêtes, il est impossible de donner un chiffre précis : sûrement plusieurs milliers de locuteurs actifs et passifs. Dans la seule région des Vans en Ardèche, l’ouvrage En cò nòstre (1991) a compté plus de 120 participants actifs et dans la région de Labégude (en Ardèche également) l’ouvrage Los Raiòls (2007) a compté une soixantaine de participants actifs, l’association regroupant 200 adhérents (chiffres donnés page 8)
Le français parlé en Cévennes donne également une indication de la forte présence de la langue cévenole en Cévennes : pour la région d’Alès, les mots cévenols employés couramment en français font l’objet d’un lexique (2e édition 2011) qui compte plus de 200 pages ; pour trois points d’enquêtes en Ardèche cévenole (sur les 5 points ardéchois), le même travail fait l’objet d’un Dictionnaire du parler de l’Ardèche (2005) de près de 300 pages.
Statut de la langue :
Aucun véritable statut officiel pour l’ensemble de la langue. Mais le conseil municipal de la commune d’Aigremont (département du Gard), dans sa séance du 8 juin 2015, a décidé :
Article 1er – « Cévenol » est le nom propre de la langue régionale de la commune d’Aigremont.
Article 2 – Son système autochtone d’écriture est celui des auteurs de la langue cévenole, tel qu’il est actuellement décrit par la Grammaire cévenole de M. Yves Gourgaud.
Vitalité et transmission:
La majorité des locuteurs a plus de 60 ans et la proportion de locuteurs diminue dans les générations ultérieures. La transmission familiale est devenue faible, probablement de l’ordre de 1 à 2%, même si elle n’a jamais été totalement interrompue. Depuis les années 1950 en agglomérations et 1970 en zones rurales, sauf exceptions ponctuelles, les Cévenols ont le français comme langue première, parfois aux côtés du cévenol mais de plus en plus rarement. Il est à remarquer que les nombreux étrangers venus en Cévennes pour travailler à la mine se sont intégrés par la langue cévenole, qu’on trouve particulièrement vivace dans le français parlé par les mineurs (cf. le « petit lexique de la mine » in Armagna Cevenòu 2017, pages 43-58).
Médias et enseignement:
Les médias et l’enseignement officiel ne laissent qu’une place minuscule à la langue cévenole. A noter comme exception la chronique (parution irrégulière) Tabò, Crounico en lengo raiolo (En avant !, chronique en langue « rayole ») dans le populaire hebdomadaire Cévennes Magazine.
La langue littéraire cévenole apparaît vers la fin du XVIe siècle (on ne peut prendre en compte les trois ou quatre courts poèmes de l’époque des troubadours, dont l’origine cévenole est en outre douteuse). Elle connaît une belle floraison aux deux siècles suivants avec des auteurs comme Martel (nord du domaine), Guérin (ouest du domaine), Jean Michel et Jean-Baptiste Favre (sud du domaine) ou Séguier (centre du domaine).
Au XIXe siècle la respelido (renaissance littéraire) est précoce en Cévennes et précède le grand mouvement provençal autour de F. Mistral ; dans son ouvrage Les précurseurs des félibres, Donnadieu présente 14 auteurs pour l’ensemble des terres d’oc : deux d’entre eux sont cévenols, Fabre d’Olivet et La Fare-Alais. Le mouvement mistralien va s’implanter durablement en Cévennes, depuis Arnavielle (1844-1927) jusqu’à Julien Brabo dit Jan Castagno (1859-1938) qui à lui seul aura écrit et publié plus de 4000 pages en langue cévenole.
La respelido cévenole s’est appuyée sur la publication d’almanachs ou de revues partiellement ou entièrement écrits en langue cévenole : Armagna Cevenòu et Armana de Lengadò (années 1870), Dominique et La Cigalo d’or (années 1870-1880), La Campana de Magalouna (des années 1890 aux années 1930), Lou Cascavèl (années 1890), Armanac de Louzero (depuis le début du XXe siècle), Ormogna d’éi Féçouyrié (années 1880), Armagna du Père Ménfouté (1912-1962), Cacalaca (1915-1936), etc. Cette tradition est actuellement continuée par le nouvel Armagna Cevenòu qui paraît depuis 2011. Toutes ces publications ont assuré et assurent la diffusion d’une langue à la fois littéraire (poésie, traductions de textes de la Bible) et populaire (chroniques de la vie quotidienne ou traditionnelle, textes du folklore, récits plaisants).
Il est à noter que le mouvement dit « occitan », dans sa volonté d’imposer une graphie archaïque et compliquée, a pu décourager toute une génération dans les années 1970-2000 : les auteurs cévenols qui sont édités à cette époque éprouvent le besoin, dans la présentation de leur travail, de s’excuser de ne pas pouvoir (ou vouloir) employer cette graphie trop « savante ».
Précisions historiques
La Réforme, phénomène majeur en Cévennes, impose très tôt une connaissance (au moins passive) du français comme langue du culte, mais jusqu’au XIXe siècle le cévenol reste la langue usuelle de la société, y compris des classes supérieures : le grand rénovateur des Lettres cévenoles est un marquis (Gustave de La Fare-Alais). Tout au long du XIXe siècle et même du XXe, seule une petite minorité d’ouvrages publiés en cévenol présentent une traduction française, preuve que la langue autochtone se suffit à elle-même. Par ailleurs, le caractère rural de la société a permis la conservation de traditions orales d’expression cévenole : chants, comptines, récits, au moins jusque dans les années 1980 ainsi qu’en témoigne l’imposant recueil de Chansons du mont Lozère (2016) qui, sur un territoire très restreint, a recueilli près de 400 textes, la plupart en langue cévenole.
Précisions linguistiques
Souvent assimilé au groupe « languedocien », le cévenol offre un assez grand nombre de particularités linguistiques : en finale, le –L qui est maintenu en languedocien et vocalisé en provençal (castèl~castèu, oustal~oustau) subit en cévenol un double traitement, suivant qu’il provient d’un L double (en ce cas il se maintient : castèl) ou d’un L simple (en ce cas il se vocalise : oustau) ce qui aboutit à des oppositions originales : là où le provençal et le languedocien opposent pèl~pèu (peau) à pel~péu (poil), le cévenol oppose pèl (peau) à pèu (poil).
Le système verbal offre des originalités marquées par rapport aux deux grands groupes linguistiques voisins : sian et sias, qui sont en provençal des formes du présent de l’indicatif (nous sommes, vous êtes) et en languedocien (dans sa version occitane) des formes du subjonctif présent (que nous soyons, que vous soyez), sont en cévenol des formes de l’imparfait : nous étions, vous étiez. Une terminaison verbale comme –ièu sera comprise en Provence comme une forme de la première personne du singulier (disiéu, je disais) alors qu’elle est en cévenol une forme de la troisième personne du pluriel (disièu, ils/elles disaient). Par ailleurs les terminaisons du prétérit en –èn, -ès ne seront pas comprises par un provençal ou un languedocien : Cantèn, cantès (nous chantâmes, vous chantâtes) se disent Canterian, canterias en provençal et Cantèren, Cantères en languedocien.
On distingue quatre grandes formes dialectales de la langue cévenole ; le dialecte occidental ou lozérien est le plus particularisé : maintien des –S du pluriel et des occlusives finales, prononciation [b] du V ; les trois autres dialectes (oriental ou ardéchois ; central ou gardois ; méridional ou héraultais) présentent comme principale variation le traitement du A, soit final atone (passé à –O en Gard-Ardèche, conservé dans l’Hérault), soit prétonique (passé à O en Ardèche, conservé en Gard-Hérault) : la forme gardoise-lozérienne Cabano devient Cabana dans l’Hérault et Cobano ou Cobono en Ardèche.
Toutes ces variations sont prises en compte dans la graphie moderne de la langue cévenole, qui à l’exemple de la langue provençale et de la langue corse, se déclare polynomique. Cette graphie moderne est une synthèse des deux grands systèmes graphiques élaborés au XIXe siècle, le premier par La Fare-Alais dans les années 1840 et le second par le Félibrige cévenol dans les années 1860. Son caractère autochtone l’oppose assez radicalement à la graphie dite occitane qui, elle, a pour but d’effacer la variation dialectale : Partissièi embé moun chi, que mi quitavo pa d’un pas (graphie cévenole) deviendra en occitan : Partissiá amb mon chin, que me quitava pas d’un pas.
Sources et bibliographie complémentaire
Gourgaud, Yves, Petite grammaire cévenole, Tampere, Atramenta 2014.
Gourgaud, Yves, Répertoire des écrivains de langue cévenole du XVIe siècle à nos jours, Alès-en-Cévennes, Aigo Vivo 2015.
Gourgaud, Yves, Anthologie cévenole, Tampere, Atramenta 2015 (trois volumes de 270, 272 et 280 pages)
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