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Le beti
Page réalisée par Antoine Kakou, de l’Université d’Abidjan-Cocody, 2009
Données sur la langue beti
Noms alternatifs : éotilé, betine.
Classification : Famille Niger-Congo, sous famille des langues Kwa, sous groupe des langues West-tano
Principaux dialectes : betine d’Adiaké, betine de Vitré
Aire : Sud-est de la Côte d’Ivoire, région du Sud-comoé dans la Préfecture d’Adiaké et dans la Sous-préfecture de Grand-Bassam
Carte des langues Kwa de Côte d’Ivoire:
Carte de la zone peuplée par les Betibe (locuteurs de betine)
Nombre de locuteurs :6 pour le betine d’Adiaké et environ 1750 locuteurs pour le betine de Vitré, selon Antoine Kakou, de l’université de Cocody-Abidjan.
Statut de la langue : Le betibe n’ a pas de statut officiel.
Vitalité et Transmission :
Selon le critère du nombre de locuteurs des deux dialectes, la langue betine a le statut de langue en danger critique.
Concernant le betine d’Adiaké, il ne reste que 06 locuteurs vivants, d’un âge moyen de 40 ans. La langue est abandonnée au profit de l’agni, langue de l’envahisseur. L’éotilé n’est plus transmise d’une génération à une autre et est sur le point de disparaitre. L’université de Cocody-Abidjan a entamé un programme de documentation vidéo et sonore du betine. Le peuple betibe appelle à la mobilisation de tous autour de la revitalisation du betine particulièrement celle de d’Adiaké.
Le betine de Vitré est parlé dans la Sous-préfecture de Grand-Bassam dans les villages de Vitré 1 et Vitré 2 où les populations l’utilisent à des fins de communication quotidienne. Par ailleurs, à Vitré la langue est transmise d’une génération à une autre. Toutefois, il faut reconnaitre au regard du nombre de locuteurs que cette variante aussi est sous la menace de disparition. En faisant une généralisation de la situation, les linguistes considèrent le betine ou éotilé comme une langue en danger.
Précisions ethnographiques
La thèse de l’origine sub-aquatique est celle qui est défendue officiellement par les Eotilé qui disent s’appeler «Métchibo» ou « Betibe ». Selon cette source, les Métchibo seraient sortis d’Abondji et M’binhon, deux provinces localisées dans le fin fond de la lagune ebonon (aujourd’hui, la lagune Aby) où ils développèrent une activité commerciale florissante basée sur le troc.
N’gbandji N’gniman de la famille des boinè, serait le premier ancêtre à émerger pour s’établir sur la terre ferme. Ce dernier a été suivi par les autres familles représentées par les bwayo, les bosiman, les bwakru et les bwacıman.
Ces cinq familles ou tribus ont constitué le socle du peuple Métchibo. Chaque famille ou tribu est dirigée par une autorité appelée ‘‘chef de chaise’’. A la suite de sa migration, le peuple Métchibo s’établit sur des îles proches les unes des autres.
Les principales sont bôlôbatè, mônôbaha, asôkô , draman, ehıkomıan, èso, asoṵ, etc.
Ces îles localisées aujourd’hui dans le Département d’Adiaké sont distantes les unes des autres de quelques kilomètres seulement.
Les Métchibo vécurent sur la plupart de ces îles en bâtissant des habitations sur pilotis appelée ‘‘assanga’’. Leur principale activité était la pêche. Toutefois cette pêche n’était pas extensive. Elle était une pêche de subsistance destinée à couvrir les besoins familiaux. Les moyens employés étaient donc rudimentaires. Les Métchibo prirent l’habitude d’amarrer leurs pirogues aux poutres des ‘‘assanga’’, les cases sur pilotis. De cette façon, il leur était possible de descendre des habitations et de prendre l’eau en peu de temps.
Outre la pêche, ils s’adonnaient à d’autres activités telles que l’extraction du sel et la poterie. A cette époque, ils n’avaient pas de voisins immédiats et leur pays s’étendait de part et d’autre de la lagune Aby. La société Métchibo, comme nous l’avons souligné est répartie en cinq familles ou cinq tribus dirigées par des chefs de chaise. Au sommet de cette organisation socio-politique se trouvait le roi, garant de la stabilité et de la continuité du peuple.
Cette civilisation a prospéré jusqu’au 18ème siècle, période à laquelle les Aha (Agni) vénus d’Agnuan-gnuan et fondateurs du royaume Sanwi dirigèrent une attaque surprise contre les Métchibo sur l’île de Monobaha. Les sources orales soutiennent que cette guerre est survenue dans un contexte de crise au sommet de l’Etat Métchibo. En effet, le roi Wopou Nigbéni et son demi-frère Wopou Siguin, le chef des fâ étaient en désaccord. Le second courtisait la femme du premier. Ce conflit n’incitera pas le frère cadet qui dirige l’armée à porter secours à son aîné, le roi.
Les Métchibo furent par conséquent vaincus et soumis. Dans la déroute, certains chefs de fâ ou chefs de guerre qui ont voulu éviter le génocide à leur peuple, conduisirent des groupes dans plusieurs localités de la région et même au-delà : ces évènements marquèrent le début de la diaspora Métchibo.
Beaucoup prirent la direction de l’Est. Une partie de ce groupe se réfugia à ὲfiὲ en territoire ghanéen. Une autre partie poursuivie son exode sous la houlette du chef de fâ Takrita et fonda plusieurs villages dont N’zulézo et N’ziambo qui existent encore aujourd’hui en territoire ghanéen.
Cependant, tous ne prirent pas la direction Est. Ainsi, sous la conduite des chefs de fâ, une vague de Métchibo se dirigea vers l’Ouest. Le chef Ehikatêh et son frère cadet Yayo passèrent par N’gandan-n’gandan pour s’établir dans la localité de Grand-Bassam. Le chef Effra Elloé est passé par le village de Samo pour joindre N’gbêtébo. Au fil du temps, ce groupe finit par s’incorporer au peuple Abouré de Bonoua dont certains sont d’origine Métchibo. C’est le cas du clan Assôkôpôh.
De Bonoua, Le chef Effra Elloé rejoignit d’autres Métchibo à Natchuê, dans la région actuelle de Moossou. Pendant ce temps, les Abouré de Moossou vivaient à M’buffré dans la localité d’Azuretti. Un chef Métchibo lia une amitié sincère avec un chef Abouré ; ce qui le conduisit à s’installer sur le site de l’actuel ‘‘cinéma congo’’ à Grand-Bassam. Suite à une querelle entre les deux peuples, certains Métchibo se détachèrent du groupe et partirent s’installer sur une île à Bétigbô. Mais ce nouveau site était marécageux. Ils migrèrent de nouveau pour s’établir sur l’île proche de Okobé. C’est sur ce nouveau site qu’ils furent attaqués par les Ebrié de la région de Bingerville. Cet événement malheureux incita une fois de plus les Métchibo à transiter par Biétry pour trouver un premier refuge sur une île au large des côtes de Bassam. Mais à la demande de l’administration coloniale, ils firent une migration en deux étapes pour se retrouver sur les sites actuels de Vitré1 et Vitré 2.
Certains Métchibo ont progressé dans leur exode pour se mélanger à d’autres peuples notamment les peuples installés sur le cordon littoral entre Assinie et San pédro.
Sur la question, voici ce que nous rapporte Koblan Kouao: « La tradition opine que tous les peuples parsemés tout au long du cordon littoral depuis la rivière Tanoé jusqu’à Sans-Pédro sont issus du rameau Ehotilé. Ce sont des chefferies ou clans réfractaires, rebelles qui se sont segmentés, pour incompatibilité d’humeur, pour des frustrations ou pour des raisons politiques diverses. A la recherche de plus de quiétude, revendiquant un peu plus de souveraineté, certains sous-groupes Ehotilé se sont éloignés du noyau central pour ne plus jamais revenir.
Plusieurs écrits attestent que l’un des trois parlers Aïzi est d’origine Métchibo.
En effet, l’on note une similitude entre la nomenclature de certains villages aïzi et celle de quelques sites en pays éotilé. C’est le cas d’asôkô et téfredji par exemple. Plus loin encore, en pays Kru dans le Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, nous pouvons citer l’exemple de Monogaga qui, aux dires des
Les Métchibo installés autour de la lagune Aby de nos jours sont ceux qui prenant la direction de l’Est ont trouvé refuge à èfiè après l’invasion Aha.
Dans cette localité, les Métchibo ne trouvèrent guère le repos à cause des fréquentes querelles qui les opposaient aux N’zima, venus du Ghana à la suite d’une famine.
Dans cette ambiance délétère, un chef de fâ du nom de Elloua N’djomou prit la décision de faire revenir les Métchibo sur leurs terres ancestrales passées sous le contrôle des Aha qui ont pris le nom d’Agni. Les Métchibo préférèrent la domination agni à celle d’un peuple inconnu. Joignant l’acte à la parole, ils conclurent une alliance avec Amon N’douffou kpangni, le roi sanwi de cette ère.
Dans le souci de mieux les contrôler, le roi Sanwi demanda aux Métchibo de s’établir sur le site d’Eyondo ou Bianou à quelques distances de l’embouchure du fleuve Bia. Après leur établissement, ils furent incorporés à l’aile gauche de l’armée sanwi où ils reçurent l’instruction de défendre le royaume en cas d’attaque extérieure notamment contre les N’zima. Pour contenir toute velléité de revanche, le roi Amon N’douffou entreprit de donner les filles des nobles Métchibo en mariage aux nobles Agni et vice versa. Les Métchibo furent également intimidés de ne pas parler leur langue sous peine de mort. Face à ce qu’on pourrait qualifier d’ « embargo linguistique », les enfants Métchibo finirent par oublier l’éotilé et adoptèrent l’agni comme langue maternelle. Au fil des générations, la langue des Métchibo est devenue désuète et inadaptée au besoin de communication. C’est cela qui explique la mort ou presque de l’éotilé dans la région d’Adiaké.
Le site d’Eyondo était dans une position stratégique car depuis cette localité, les Métchibo pouvaient surveiller leurs îles situées au large. Eyondo se trouvant en bordure de lagune, ils pouvaient accéder facilement à ces îles et explorer d’autres contrées au moyen des pirogues dont ils disposaient. Les Métchibo demeurèrent à Bianou jusqu’à l’époque où ils entreprirent de se soustraire du joug agni, aidés en cela par l’administration coloniale. Partis de Bianou, ils créèrent le village d’Etuéboué. A partir d’Etuéboué, certains Métchibo se dirigèrent vers d’autres localités autour de la lagune Aby à la recherche de nouvelles zones de pêche. Ils créèrent dans un premier temps, des campements de pêche pour conditionner les produits de la pêche. Progressivement, ces campements se transformèrent en villages. C’est de cette façon que les villages Métchibo d’Akounougbé, Abiaty, Assomlan, Eplémlan, Etuéssika, Mélékoukro, M’braty, N’galiwa ont été crées à la suite du village d’Etuéboué considéré aujourd’hui comme le chef-lieu des villages Métchibo.
Précisions linguistiques
L’éotilé ou betine est une langue à deux variantes : La variante de Vitré et la variante de la lagune aby. Le dialecte de Vitré qui est resté vivant jusqu’à ce jour est situé dans la Sous-Préfecture de Grand-Bassam, principalement dans les villages de Vitré 1 et 2. Quant au dialecte de la lagune aby, il est localisé dans le Département d’Adiaké, dans les Sous-Préfectures d’Adiaké et d’Etuéboué. Jusqu’au 18ème siècle, le betine ou éotilé était une langue homogène exclusivement parlée par les Eotilé sur l’île-cité de Monobaha au milieu de la lagune aby. C’est l’attaque des Agni survenue au 18ème siècle avec son corollaire de déplacement forcé du peuple qui a entrainé la scission de la langue en deux dialectes distincts : Le dialecte de Vitré pour ceux qui prirent la direction de l’Ouest et le dialecte de la lagune Aby dialecte d’Adiaké pour ceux qui se dirigèrent vers l’Est. Il est vrai qu’il existe des changements lexicaux et morphologiques entre ces deux parlers betine à cause de la pression linguistique que chaque dialecte subit dans sa sphère. Mais fondamentalement, les structures syntaxiques ne varient pas d’un dialecte à un autre. En général, les locuteurs des deux parlers se comprennent sans grandes difficultés.
Toutefois, il convient de relever que le dialecte d’Adiaké est désuet et est fortement menacé d’extinction.
Des études de terrain attestent qu’il existe à ce jour, six locuteurs vivants pour le dialecte d’Adiaké. La moyenne d’âge de ces locuteurs est de 40 ans.
Ces observations suffisent à dire que le dialecte betine d’Adiaké est en sursis. Pour l’heure, son usage est réduit à des fonctions religieuses. Les autochtones betibe utilisent tous l’agni-sanwi pour le besoin de communication quotidien. Cependant, ils éprouvent de la fierté à défendre leur appartenance à l’identité culturelle betibe ou éotilé.
Quelques mots en éotilé:
- Bonjour : abazi , réponse : mvlèmon
- Bonsoir : ndofômon, réponse : èlèmianmlon
- Tête : éti
- Cou : kômlin
- OEil : ègni
- Langue : anè
- Père : ee
- Mère : mmo
- Frère : mmıanmıan
- Soeur : mmıanbla
- Oncle : wanmıan
- Grand-père: nanmıan
- Grand-mère : nanbla
- Ami : nıgo
- Epouse : yᴐ
- Epoux : ku
- Enfant : èba
- Nouveau né : bapu
- Homme : emıan
- Femme : èbla
- Jeune homme : bıapu
- Jeune fille : blapu
- Homme Vieillard : èmıanham,
- Femme vieillard : èblaham
- Roi : èbakuaba
Sources et bibliographie complémentaire
ALLOU, KOUAME R. La place des vaincus éotilé (Mékyibo) dans l’organisation défensive du sanvi, Dept d’histoire, Univ. De Cocody.www. Histoire-Afrique.org/article206.html ?artsuite=2
HERAULT, G. 1982(a) ‘‘L’éotilé’’ in Hérault G (dir.), Atlas des langues Kwa de Côte d’Ivoire, Tome 1 Abidjan, ILA-ACCT
KAKOU FOBA A. (2008) Syntaxe de l’éotilé, langue kwa de Côte d’Ivoire (parler de Vitré). Thèse pour le Doctorat unique. Institut de Linguistique Appliquée, Université de Cocody-Abidjan
KAKOU FOBA A. (2002) Le groupe nominal de l’éotilé, parler de Vitré Rapport de DEA, Université de Cocody-Abidjan
KAKOU FOBA A. (2001) Esquisse phonologique de l’éotilé, parler de Vitré. Mémoire de maîtrise, Université de Cocody-Abidjan
KOBLAN, K. (2003) L’esthétique, sa portée éducative et formative à travers les tambours Ehotilé, Thèse pour le doctorat unique, option Arts plastiques, Université de Cocody-Abidjan
PERROT, C. H. (2008) Les Eotilé de Côte d’Ivoire au XVIII et XIX siècles. Pouvoir lignager et religion. Les publications de la Sorbonne
Quelques liens pour en savoir plus
Site du Docteur Antoine Kakou, de l’université de Cocody-Abidjan, consacré au peuple bétibé, locuteurs d’éotilé :
http://peuplebetibe.hostei.com/
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org