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L’igbo
Page réalisée par Francoise Ugochukwu (Professeur, littérature comparée), Open University (Grande-Bretagne) & LLACAN (France), 2010.
Données sur la langue
Noms alternatifs : ibo
Classification : famille Niger-Congo, branche Benue-Congo
Ecriture : latine
Principaux dialectes :
Echeruo (1998 : xv) divise la langue igbo en deux zones dialectales principales :
- La zone d’Onitsha, composée de quatre sous-régions : Igbo de l’ouest, Osomari, Nsukka-Udi et Izzi-Abakaliki, Awka et Ihiala-Uli étant considérées comme des régions de « fortes variations locales » et de « marques territoriales ».
- La zone d’Owerri, composée de cinq sous-régions : Mbaise, Afikpo-Eda, Ohafia-Bende-Ohuhu, Ngwa-Azumini et Ikwerre-Ahoada.
Le site Ethnologue.com a recensé 30 dialectes et confirme qu’ils varient en intelligibilité.
Aire géographique :
- Aire traditionnelle : seule langue parlée dans les États d’Abia, Anambra, Ebonyi, Enugu et Imo ; langue majoritaire dans les États de Rivers – départements d’Oyigbo, Ikwerre, Bonny, Ahoada, autour d’Opobo et d’Ibani dans le département de Bonny ; du Delta – départements d’Oshimili, Aniocha et Ndokwa ; et d’Akwa Ibom.
- Diaspora : surtout présente aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi dans toute l’Afrique et sur le reste du globe, de l’Islande et de la Finlande à l’Italie et au Japon. Dans les années récentes, un grand nombre d’Igbo, que certaines de leurs coutumes rapprochent d’Israël, ont émigré dans ce pays.
Nombre de locuteurs :
24 890 983 au Nigeria, et plus de 25 000 000 en comptant la Diaspora (source : CIA worldFact book, 2006). Il n’existe pas de statistiques récentes.
Statut de la langue :
L’igbo est la troisième langue nigériane par le nombre de locuteurs et l’une des six langues promues au rang de langues nationales (sans compter l’anglais).
L’igbo cependant n’est pas autant soutenue que le hausa et le yoruba (1ère et 2e langues nationales, également parlées dans les pays voisins) et a du mal à recruter des enseignants qualifies.
En pays igbo, au sud-est du Nigeria, l’igbo est la seule langue de communication, la langue officielle d’enseignement dans les premières classes du primaire et la langue du culte (catholique ou protestant), particulièrement en zone rurale.
Il est aussi la langue d’une importante diaspora.
Vitalité et Transmission :
Au Nigeria, l’igbo est parlé par les Igbo de tous âges, et transmis essentiellement au sein des familles. Son usage a longtemps été découragé, d’abord par les autorités coloniales puis par les élites igbo, et les Igbo de plus de 50 ans, qui n’ont pas pu étudier leur langue à l’école, ont parfois du mal à la lire ou/et à l’écrire.
L’étude de l’igbo comme matière est obligatoire, depuis la fin des années 1970, en primaire et dans les trois premières classes du secondaire ; il est aussi enseigné au sein des départements de langues nigérianes dans plusieurs des universités du pays.
Il est cependant fortement concurrencé, depuis l’époque coloniale et l’implantation des écoles en pays igbo, par l’engouement des Igbo pour l’anglais. Cette préférence se manifeste surtout au sein de la jeunesse urbanisée, fortement influencée par les États-Unis, comme en témoignent les vidéo-films de Nollywood (nom d’une industrie cinématographique nigériane) où l’igbo reste le plus souvent cantonné dans les chants.
À l’étranger, l’enseignement de l’igbo, qui a eu du mal à s’implanter, est surtout florissant aux États-Unis et sur Internet. En Grande-Bretagne, si la SOAS de Londres ne l’offre plus qu’en cours du soir, les associations igbo œuvrent en faveur de son enseignement en secondaire pour répondre à la demande de la diaspora.
Le second colloque international sur l’extinction de la langue igbo tenu à Alvan Ikoku, Owerri (Nigeria) les 16 et 17 juillet 2010 et intitulé : « Enseignants d’igbo au 21e siècle : défis et perspectives » reflète les graves inquiétudes des Igbo concernant l’avenir de leur langue. Cette prise de conscience du danger représenté par l’abandon de la langue au sein des familles est surtout manifeste au sein de la diaspora, mais elle existe aussi en pays igbo.
Médias /Littérature/Enseignement :
Les premiers dictionnaires ont été publiés à usage interne à des fins d’évangélisation : celui de Ganot en 1899, est suivi en 1907, par L’Essai de dictionnaire français-ibo ou français-ika de Zappa, SMA. Celui-ci, réalisé avec le concours du catéchiste igbo Jacob Nwaokobia et basé sur le dialecte parlé sur la rive droite du Niger, était déjà résolument moderne par sa reconnaissance du processus d’igbonisation, avec l’inclusion de mots empruntés à l’anglais. Il se termine par une liste de 91 proverbes présentés en igbo et en français.
En 1961, l’adoption de l’orthographe d’Onwu, du nom du sous-directeur des services médicaux de la région orientale appelé par le gouvernement du Nigeria oriental de l’époque pour régler le conflit linguistique une fois pour toutes, met fin à des années de controverse entre catholiques et protestants.
En 1972, Williamson publie son dictionnaire igbo-anglais basé sur le dialecte d’Onitsha ; une seconde édition, posthume, de cet ouvrage a fait l’objet d’une publication électronique éditée par Roger Blench (2006). D’autres ouvrages pionniers seront ensuite publiés par des Nigérians : Ogbalu (1962) et Nnaji (1985). Les années récentes voient la publication de nouveaux dictionnaires bilingues : ceux d’Echeruo (1998), Igwe (1999), Awde & Wambu (1999), Ugochukwu et Okafor (2004) – des ouvrages très différents les uns des autres et dont le nombre d’entrées oscille entre 2,637 (Williamson) et plus de 10 000 (Igwe). Il n’existe pas de dictionnaire monolingue.
Deux nouvelles traductions de la Bible, en Igbo standard et fruits des travaux de la Société biblique du Nigeria en collaboration avec les comités de traduction locaux représentant les Églises du pays igbo, ont été lancées à Owerri le 25 juillet 2006 : la Bible Nso ohuu et une Bible bilingue anglais-igbo comprenant le texte de Bible Nso ohuu ainsi que celui de la Bible anglaise King James, la plus lue dans le pays.
Après les mémoires d’Olaudah Equiano, esclave affranchi, publiées en anglais en 1745 sous le titre de The interesting narrative of the life of Olaudah Equiano or Gustavus Vassa the African, written by himself, il faut attendre 1933 pour voir sortir le premier roman en igbo, Omenuko. Il sera suivi en 1937 par Ala Bingo d’Achara et, en 1963, par Ije Odumodu jere de Bell-Gam.
Depuis 1960 et la vogue de la littérature anglophone populaire du marché d’Onitsha, la publication de romans, pièces de théâtre et recueils de poèmes en igbo a repris, surtout destinée aux élèves du secondaire et aux programmes universitaires. Les textes les plus lus sont les romans d’Ubesie ((1949-1993), mais Achebe lui-même a publié en igbo. Plusieurs journaux et magazines rédigés en igbo ont vu le jour, dont Ogene, Udoka et Anu, mais ils ont dû abandonner la production les uns après les autres du fait du manque de lecteurs. La littérature pour enfants en igbo est par contre en plein développement.
Précisions historiques
Avant l’arrivée des missionnaires, il existait bien des scripts igbo comme Nsibidi, Uriala, Uri Mmuo et celui de Nwagwu Anieke, mais les deux premiers étaient la propriété de sociétés secrètes traditionnelles, le troisième une création individuelle et aucun n’avait eu de suite.
Les premiers travaux sur la langue ont été le fait des missionnaires protestants de la Church Missionary Society (CMS) anglicane britannique dès 1841 et se sont concentrés sur le dialecte d’Onitsha, perçu à l’époque comme le dialecte commun des Igbo.
Ces premiers travaux aboutirent à la publication, en 1843, du Vocabulary of the Ibo language de Schön. Il sera suivi des traductions des Évangiles de Matthieu, Marc et Luc par le Révérend Taylor, publiées respectivement en 1860 et 1864 et de la grammaire igbo de Schön en 1861.
En 1882, paraît à Londres le Vocabulary of the Ibo language de Crowther, révision du travail de Schön, et en 1892 la Grammaire élémentaire de Spencer. Les premiers missionnaires de la Société des Missions africaines (SMA) s’installent à leur tour à Onitsha en 1889 ; puis en 1894, Ganot arrive à la mission du Bas-Niger où il est considéré comme le premier Français. En 1899, c’est la publication du premier ouvrage en français sur la langue igbo : la Grammaire ibo de Ganot.
Les efforts des missionnaires aboutiront à l’ « Union Igbo » et à la publication de la Bible complète dans cette langue. Synthèse de cinq dialectes qu’on avait à l’époque quelque difficulté à distinguer, l’Union Igbo devint pour de longues années (Ayandele, 1966 : 283) « l’espéranto de l’igbo, une lingua franca, la langue de la littérature et le liant de l’un des trois groupes ethniques les plus importants d’Afrique de l’Ouest » – elle n’acquit cependant jamais le statut de langue vivante, bien que la « Bible de l’Union » soit encore lue aujourd’hui dans toute la région.
Précisions ethnographiques
Le sentiment d’appartenance ethnique à la communauté igbo, très développé en dépit du caractère très décentralisé de leur organisation politique traditionnelle, s’est encore renforcé du fait de l’expérience de la guerre du Biafra et des pogroms répétés dont sont victimes les Igbo depuis 1945.
Dans tout le Nigeria et dans le monde entier, des communautés actives regroupent les Igbo « expatriés » et leur permettent de prendre part, de loin, aux affaires de leur village, de leur ville et de leur aire culturelle.
Tous ceux qui le peuvent retournent régulièrement au village ancestral à l’époque des festivals qui coïncident avec la Noël.
Précisions sociolinguistiques
Les Igbo, dont le territoire est densément peuplé, sont l’ethnie la plus scolarisée du Nigeria, à 100% au niveau primaire.
La majorité des enfants fréquentent le secondaire jusqu’au niveau équivalent au BEPC, et l’incapacité des nombreuses universités de l’aire culturelle igbo à répondre à la forte demande régionale pousse encore de nombreux jeunes à partir poursuivre leurs études à l’étranger – une tendance à la mobilité qui va de pair avec l’effritement de la pratique de la langue.
Précisions linguistiques
L’igbo standard, né des travaux du Comité de standardisation de la SPILC (Society for promoting Igbo language and culture) dans les années 1970, et basé sur un compromis entre les dialectes d’Owerri et Umuahia, qui a cependant omis la nasalisation et l’aspiration communes à ces dialectes, est une langue à tons. On lui reconnaît trois niveaux de tons ou tonèmes : haut, bas et moyen.
Quelques mots en igbo
- Extrait d’Omenuko ou les repentirs d’un marchand d’esclaves, roman
Omenuko , premier roman écrit en igbo et ancêtre du premier roman d’Achebe, est sorti en 1933 à Londres après avoir obtenu le premier prix au concours littéraire organisé par l’Institut international pour les langues et cultures africaines et couvrant tout le continent. Sa traduction française sort en 2010 chez Karthala.
Cette biographie romancée, qui reste aujourd’hui le classique igbo le plus lu, retrace la vie d’Omenuko, nom fictif du très réel Chef Igwegbe Odum (1860 ? – 1940) d’Arondizuogu, dans l’Etat d’Imo (Nigeria).
Préface :
N’akuku obodo anyi n’ime Africa, okwu a di ka iwu e nyere enye; a na-asi ma o buru na onye o bula agaa n’obodo ozo biri n’ebe ahu di ka obia ma o di mma, ma o bu onye ebere, ma o bu onye amara, ma o bu onye na-ikpe ikpe n’uzo ziri ezi, mgbe dum ihe ufodu ga na-echetara ya na ya onwe ya bu ohia, n’ala ahu, o ga na-ejikere onwe ya na o gaghi ila obodo ebe a muru ya.
Mgbe o bula a turu ya n’ilu, ma a gwawara ya agwawa na o bu obia, o ghaghi ila. Iwu a siri ike. Ya mere onye o bula nke nwere ihu ojoo nke mere ka ihere mee ya n’uzo o bula, a ga-akwara ihe ya laa. Mgbe o ruru obodo nke a muru ya, onu nke o ga-ezute ga-akwughachi ya ugwo karia ihe ahu dum o huru n’obodo ahu ebe o nori dika obia. Onu na obi uto ka ndi ya ga-eji hukwa nlaghachi ya
[note: les diacritiques ont été omis pour des raisons d’édition].
Traduction:
Dans notre coin d’Afrique, on dit – et cet adage a force de loi – que tous ceux qui se sont expatriés finissent tous par rentrer au pays. Pourtant, ils vivaient bien là-bas, ils avaient de bonnes relations avec les gens, ils étaient sincères et pleins de bonne volonté. Mais de petits détails viennent un jour leur rappeler que, là où ils se sont installés, on ne les considérera jamais comme des autochtones. Une fois qu’ils ont compris cela, qu’on le leur dise clairement ou pas, rien ne peut infléchir leur décision de retourner chez eux.
La loi du retour a de profondes racines, ce qui explique que tous ces malchanceux, accablés de complexes, finissent par faire un paquet de leurs affaires et s’en aillent. La joie qui les accueille à leur retour au pays est si grande qu’ils en oublient tout ce qu’ils ont dû subir à l’étranger – la joie et le bonheur, voilà ce qui les attend au retour.
- Proverbe
Awo anaghi agba oso n’ehihie na nkiti
(litt.) le crapaud ne court pas l’après-midi sans raison
(i.e.) il n’y a pas de fumée sans feu
Sources & bibliographie
Achebe Chinua (1966) Le monde s’effondre, Paris, Présence africaine (trad. M. Ligny), 254p.
Ayandele Emmanuel Ayankanmi (1966) The Missionary Impact on modern Nigeria 1842-1914, a political and social Analysis, London, Longman 393p.
Basden George T. (1938) Niger Ibos, London, F.Cass. Réimpression 1966, 456p.
Basden George T. (1921) Among the Ibos of Nigeria, London, F.Cass. Réimpression 1966, 321p.
Buhler Jean (1968) Tuez-les tous! Guerre de sécession au Biafra, Paris, Flammarion, 235p.
Chukwuma Helen (1994) Igbo Oral Literature, theory and tradition, Abak, Belpot, 344p.
Echeruo Michael Joseph Chukwudalu (1998), Igbo-English Dictionary, with an English-Igbo index, New Haven-Londres, Yale University Press, 283p. (2e ed. 2001, Longman Nigeria).
Emenanjo Emmanuel Nolue (1987) Elements of modern Igbo grammar. A descriptive approach, Ibadan, University Press Ltd, 234p.
Emenyonu Ernest (1978) The rise of the Igbo novel, Ibadan, Oxford University Press, 212p.
Nwana Pita (2010) Omenuko ou les repentirs d’un marchand d’esclaves, roman, Paris, Karthala (traduit de l’igbo par Françoise Ugochukwu), sous presse.
Nwana Pita (1933) Omenuko, London (édition dans la nouvelle orthographe, Lagos, Longmans 1963), 94p.
Obiechina Emmanuel (1972) Onitsha Market Literature, London, Heinemann, 182p.
Ugochukwu Françoise & Okafor Peter (2004) Dictionnaire igbo-français avec lexique inverse, Paris-Ibadan, Karthala-IFRA, 272p.
Ugochukwu Françoise (2010) Le pays igbo du Nigeria, Paris, L’Harmattan, 350p.
Ugochukwu Françoise (2009) Biafra, la déchirure – Sur les traces de la guerre civile de 1967-1970, Paris, L’Harmattan, 215p.
Ugochukwu Françoise (2008) Nigeria : un siècle de dictionnaires igbo bilingues, Langage & Société 124 pp.97-112
Ugochukwu Françoise (2006) Contes igbo de la Tortue (Nigeria), Paris, Karthala, 128p.
Ugochukwu Françoise (2000) Les missions catholiques françaises et le développement des études igbo dans l’Est du Nigeria, 1885 – 1930, Cahiers d’Études africaines 159 (XL-3) pp.467-488
Ugochukwu Françoise (1992) Contes igbo du Nigeria, de la brousse à la rivière, Paris, Karthala, 351p.
Williamson Kay † (ed) (2006), Dictionary of Onicha igbo, éditée par Roger Blench,415p.
Williamson Kay (ed) (1972), Igbo-English Dictionary based on the Onitsha dialect, Benin-City, Ethiope Publishing Corporation, 568p.
Zappa Carlo R.P. (1907) Essai de dictionnaire français-ibo ou français-ika, Lyon, SMA, Imprimerie Vve Paquet, 274p.
Liens
http://www.ethnologue.com/show_country.asp?name=NG
Carte du pays igbo : http://www.progressnigeria.org/igbonation/
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