Imprimer |
Groupe des langues « sudarabiques modernes » (SAM)
Page réalisée par Marie-Claude Simeone-Senelle. Directrice de recherche au CNRS, LLACAN- INaLCO. Juillet 2010.
Données sur le groupe des langues « sudarabiques modernes »
Nom du groupe : sudarabique moderne.
Les six langues qui le composent sont dites « sudarabiques modernes » (=SAM)
Noms alternatifs : neo-sudarabique, sud-arabe, neo-himyarite, mehritique, groupe Hadara
Classification : phylum afro-asiatique, branche méridionale du sémitique de l’ouest, rameau sudarabique moderne du sudarabique.
Les langues SAM sont très différentes de l’arabe et il n’y a aucune intercompréhension entre arabophones et locuteurs sudarabophones. De plus, les différences entre les langues SAM sont assez importantes pour qu’il n’y ait pas d’intercompréhension entre sudarabophones de langue maternelle différente ; l’arabe, langue seconde, sert de langue véhiculaire.
En fonction de leur degré de proximité linguistique, on peut dans le groupe SAM discerner trois sous-groupes : l’un comprend le mehri, avec le hobyot, le harsusi et le bathari, un autre le jibbali, un autre le soqotri.
Les langues sudarabiques modernes sont les seules à avoir conservé des traits (phonologiques, morphologiques, syntaxiques et lexicaux ) que l’on peut faire remonter à un degré très ancien du sémitique : existence d’une fricative latérale, de phonèmes éjectifs (correspondant aux « emphatiques » de l’arabe); conjugaison dite en –k pour l’accompli, conjugaison particulière pour le subjonctif, existence d’un duel nominal, pronominal et verbal (y compris pour la 1ère personne) ; construction de la négation …
Typologiquement : l’ordre canonique est VSO ; le lexème est basé sur le croisement d’une racine et d’un schème. Le système verbal aspectuel (opposant un accompli à un inaccompli) est enrichi de conjugaisons périphrastiques pour l’expression modale et temporelle. Les langues du Yémen contrairement, à celles parlées dans le sultanat d’Oman, n’ont pas d’article défini.
La majorité du vocabulaire relève du fonds sémitique (ancien), certains lexèmes ne sont attestés qu’en sémitique méridional (sudarabique et afro-sémitique), enfin d’autres n’existent qu’en sudarabique moderne. Les contacts pendant des millénaires avec l’arabe expliquent les nombreux emprunts à l’arabe.
Noms des langues : mehri, hobyot, harsusi, bathari, jibbali, soqotri
Aire géographique :
1) Yémen. Dans le gouvernorat du Mahra, entre la province du Hadramawt, rive est du wadi Masîla, et la frontière avec le sultanat d’Oman : mehri et hobyot ; soqotri dans l’île de Soqotra et les îlots de ‘Abd-el-Kuri et Samha.
2) Sultanat d’Oman. A l’ouest, dans la province du Dhofar, zone frontalière avec le Yémen, (mehri, hobyot, jibbali) ; le jibbali est aussi parlé dans les îles Kuria-Muria ; le bathari est la langue de la région côtière de Jazir, entre Hasik et Ras Sharbithat ; le harsusi est parlé à l’intérieur des terres, au nord-est du sultanat, dans la région du Jiddat al-Harasis.
3) Dans la diaspora : Tanzanie et Kenya, pays du golfe arabo-persique (Koweit, Emirat de ‘Ajman).
Nombre de locuteurs sudarabophones : pas de chiffres officiels, les chiffres varient entre 136.000 et environ 200.000 locuteurs
Statut de ces langues : langues locales, de minorités, sans tradition d’écriture, sans aucun statut officiel, pas enseignée.
L’absence de statut des langues SAM dans les pays où elles sont parlées, la déperdition des traditions qui va de paire avec celle de la langue maternelle font que ces six langues sudarabiques, sont extrêmement menacées, et que certaines d’entre elles, comme le hobyot (cf. fiche correspondante), sont en danger de disparition à courte échéance. Il faut noter aussi que cette mise en péril s’est particulièrement accélérée depuis le début du 21ème siècle.
Vitalité et Transmission :
La transmission se fait uniquement au sein de la famille et de la communauté. Bannie de l’enseignement, de la caserne et de l’administration. Scolarisés uniquement en arabe, dans des écoles, qui depuis l’unification du Yémen (1990), ont de plus en plus d’élèves monolingues arabophones venant d’autres régions du Yémen, les jeunes utilisent l’arabe en dehors de la maison, et dans leur milieu professionnel. Ils comprennent encore leurs parents pour ce qui est des affaires quotidiennes, mais leur répondent souvent en arabe. Les parents se plaignent de cette situation qui empire.
Il existe quelques cercles ou associations culturelles, dus à des initiatives privées, qui depuis quelques années fonctionnent et rassemblent des poètes, enregistrent des textes. Dans le Mahra du Yémen le musée des traditions mehri, fermé dans les années 1990, n’a toujours pas été réouvert. Dans le Dhofar, à Salalah, un Sudarabophone de langue jibbali a fondé chez lui un musée. Quelques textes relatifs à l’histoire sont publiés à frais d’auteur (au Yémen et en Oman). Le manque de moyens techniques et matériels, ainsi que l’absence de formation de ces passionnés pour collecter, analyser et conserver les données, entravent leurs efforts et les rendent peu productifs pour ralentir le processus de mise en danger. Les cassettes contenant des poèmes en mehri, sont rarissimes et leur qualité ne permet pas d’envisager une conservation de ces textes.
La littérature traditionnelle orale a vu son degré de vitalité baisser considérablement au fil des vingt dernières années. La création du centre de conservation du patrimoine culturel à Soqotra et l’usage des téléphones mobiles en général permettent la continuation de joutes poétiques (en mehri, en soqotri), y compris avec les sudarabophones de la diaspora – on manque de données actuelles sur les langues du sultanat d’Oman –.
Au Yémen, le conservatoire de Sanaa, qui enregistre, numérise et conserve la musique et la poésie traditionnelles arabophones, a pour projet de conserver aussi le patrimoine sudarabique mais pour l’instant la collecte et la conservation des données restent du ressort de l’initiative individuelle et par manque de moyens techniques et de formation elles sont rares et inutilisables en l’état.
Médias /Littérature/Enseignement :
Dans les média seul l’arabe est utilisé. Pas de littérature écrite. Aucun enseignement (pas même d’initiation). Les ouvrages sur la culture et la langue sont édités à frais d’auteur et ne sont pas diffusés. A ma connaissance seules deux thèses traitent de langue sudarabique moderne, l’une sur le jibbali et l’autre sur le mehri, elles ont été soutenues, pour la première en arabe, en Jordanie par un Omanais sudarabophone, pour l’autre, en anglais, en Malaisie, par un Yéménite.
Précisons historiques et bref aperçu des recherches sur les langues sudarabiques modernes.
Les langues sudarabiques modernes, sont apparentées génétiquement aux langues sudarabiques antiques dont portent témoignage des inscriptions s’étalant du VIIIème siècle avant l’ère chrétienne au VIème après l’ère chrétienne, sur les territoires correspondant à ceux des royaumes anciens de l’Arabie Heureuse. Les langues sudarabiques sont implantées dans la péninsule depuis des millénaires et avant l’arabe. En comparant ces langues anciennes, écrites, avec les langues modernes, uniquement parlées, il est difficile d’apprécier l’exact degré de parenté entre ces deux groupes.
Les régions où le sudarabique a dominé avant l’arrivée de la langue arabe sont connues depuis l’Antiquité. Cette Arabie Heureuse, berceau de royaumes prestigieux, dont celui de Saba, a recelé de grandes richesses. Elle est connue comme le pays de l’encens, si prisé dans l’Antiquité, et celui de résines précieuses (oliban, myrrhe, sang-dragon). D’autres produits rares, comme l’aloès de Soqotra, l’ambre gris en ont fait la renommée. L’île de Soqotra a beaucoup excité les imaginations. Elle aurait été visitée par Gilgamesh, elle serait l’île où renaissait le Phénix, Alexandre le Grand y aurait envoyé des colons grecs pour y cultiver et en rapporter l’aloès, Saint Thomas, au 9ème siècle, y aurait converti des indigènes au Christianisme, Marco Polo au 13ème siècle la décrit comme une île où la puissance des magiciens n’avait pas de limite et pouvait à volonté faire naufrager tout vaisseau ou le retenir prisonnier s’il se risquait à y aborder, les Portugais de la flotte d’Albuquerque qui s’y sont brièvement installés au début du 16ème siècle, y auraient laissé des descendants.
Dès le Moyen Age, les géographes et historiens arabes citent les « Mahra » et notent qu’ils parlent une autre langue que l’arabe : Mahra désignant une confédération de tribus de langue non-arabe (sudarabique) qui pouvait être aussi bien du mehri qu’une autre des six langues du groupe. Jusqu’au milieu du 19e siècle, on reste sans information linguistique sur les langues de cette population.
Les premières données (sous forme d’une liste lexicale d’environ 40 termes) ont été relevées par un officier de l’armée britannique des Indes en 1840 (J. Wellsted), ensuite les savants de l’expédition impériale de Vienne à la fin du 19e et au début du 20e ont relevé, transcrits et traduit en arabe dialectal, en allemand, des centaines de textes mehri dans la région du Mahra au Yémen (W. Hein, A. Jahn, D.H. Müller). Ces textes ont servi de base à des études philologiques (M. Bittner), à un dictionnaire (W. Leslau) et à une grammaire (E. Wagner). Dans la seconde moitié du 20e siècle, B. Thomas a relevé en dehors de la zone mehri quelques données linguistiques auprès de locuteurs sudarabophones travaillant dans les régions des puits de pétrole ; dans les années 1970, T.M. Johnstone a fait des recherches sur trois des langues parlées en Oman et sur le soqotri ; il a laissé de nombreux articles, des dictionnaires et des textes. M. Morris dans les années 1980 a travaillé sur le bathari, et sur le hobyot du Dhofar, depuis une dizaine d’années ses recherches portent sur le soqotri. V. Naumkin, anthropologue s’est surtout intéressé à Soqotra, sa culture et sa langue et il a publié avec V. Porkhmosky de la littérature traditionnelle soqotri. Les langues du Yémen (le mehri et ses variétés dialectales, le hobyot, le soqotri) ont fait l’objet des recherches de la mission française (A. Lonnet et SM.-Cl. Simeone-Senelle) entre 1983 et 1993. Depuis 1994 jusqu’à nos jours (2010) les recherches sur la dialectologie du mehri, le hobyot et le soqotri, avec recueil de textes littéraires, sont poursuivies par Simeone-Senelle. Entre 2001 et 2004, Alexander Sima a commencé à travailler sur le dialecte mehri parlé à l’est du Yémen, et les textes qu’il a recueillis ont été publiés après sa mort prématurée.
Les rares études faites depuis les années 1980 sur le mehri d’Oman le sont à partir de données de seconde main, enregistrées avant 1980 ; le mehri du Yémen qui fait encore l’objet d’études de terrain souffre de la rareté des chercheurs et des alea politiques qui, depuis 2008, ont bloqué les recherches dans cette province.
Précisions ethnographiques
Le mode de vie des Sudarabophones dépend de leur environnement naturel. Le long des côtes, ils sont sédentaires, habitent des maisons en dur dans des villages. A Qishn, capitale historique du Mahra, au Yémen, il reste encore quelques vestiges des maisons anciennes, en terre, à deux étages, entourées par une cour délimitée par de hauts murs. Certaines d’entre elles, possédant une tour, ont des allures d’habitation fortifiée. A al-Ghayda, nouvelle capitale de la région, les immeubles modernes en parpaing ou béton, ont remplacé ces anciennes constructions. Les maisons individuelles su ru n seul niveau peuvent ne pas posséder de cour mais toutes ont en général un perron devant la façade d’entrée. Dans l’arrière pays, dans l’île de Soqotra, on trouve quelques petits villages aux maisons de grosses pierres non jointes par du ciment, et aux toits de branchages ; dans les montagnes de larges grottes ont été aménagées dans lesquelles les pasteurs semi-nomades vivent épisodiquement avec leur famille et leur bétail. Sur le continent les gens des steppes dans le Mahra s’installent sous des abris rocheux. Les Hobyot et les paysans du Dhofar vivent sur les pentes des montagnes, dans des constructions rondes aux murs de pierre, aux toits de chaume, certaines de ses habitations sont semi-troglodytes. A Soqotra comme sur le continent les montagnes sont arrosées par les pluies de mousson et, les habitants se déplacent en fonction de ces pluies, et donc du fourrage pour leurs troupeaux.
Dans les villages de la côte, les activités, en dehors des petits commerces, sont liées à la mer et la pêche. Jusqu’à la fin du 20ème siècle subsistaient quelques charpentiers de marine qui assemblaient encore les planches des coques en les cousant et non en les clouant. Les poissons sont vendus frais au retour des barques en fin de matinée. Dans le Mahra, les sardines sont mises à sécher sur le littoral, puis conditionnées en sacs et vendues pour servir d’alimentation au bétail des habitants de la steppe désertique. Cette coutume avait déjà suscité l’étonnement du grand voyageur Ibn Battûta au 14ème siècle. D’autres poissons, en particulier du requin, sont salés et séchés pour être vendus aux Bédouins qui les consomment aussi bien sur le continent et qu’à Soqotra. Les langoustes et certains poissons prisés sont congelés dans des usines puis exportés en Europe ou en Asie. Les activités portuaires sont très réduites au Yémen (où il n’y a pas de véritables installations portuaires, ni dans le Mahra ni à Soqotra). Par contre, le port de Salalah, capitale du Dhofar et deuxième ville d’Oman, possède un terminal de containers et est devenu un grand centre de chargement entre l’Europe et l’Asie.
La perle a été pêchée à Soqotra jusque dans les années 1960 – les plongeurs venaient même d’Erythrée, des îles Dahlak, pour en collecter-. Une technique de pêche à la tortue a longtemps caractérisé les Soqotri : ils utilisaient un rémora. Ce poisson pilote ou commensal du requin, a une ventouse sur la tête qui lui permet de s’accrocher à son hôte. Attrapé par l’homme au filet, un filin attaché à la queue, il est gardé et transporté dans une outre remplie d’eau de mer. Le pêcheur en mer fixe l’autre extrémité du filin à son pied, le rémora lancé à l’eau va se fixer sur la tortue, il ne reste qu’à tirer sur le filin.
L’agriculture dans le Mahra est pratiquement inexistante, excepté la culture de palmiers dattiers le long de certains oueds. A Soqotra, des palmeraies sont cultivées sur la côte nord. Dans les montagnes, où il y a de nombreux points d’eau, on trouve des champs de millet, des lopins de tabac et quelques légumes. L’activité pastorale est la plus importante : dans la steppe désertique, les Mahra ont des chèvres et des dromadaires ; dans les zones montagneuses, à Soqotra et sur le continent, sur les pentes arrosées par les pluies de moussons, la végétation permet d’élever des troupeaux de caprins, camélidés et bovins. Dans le Dhofar, certains montagnards récoltent encore l’encens.
Les femmes peuvent prendre soin du petit bétail, mais non des dromadaires et des bovins qui sont pris en charge par les hommes. A l’est du Mahra, certaines femmes Hobyot participent à la culture des lopins de terre durant la campagne de pêche qui voit les hommes partir en mer. Dans cette même région orientale, comme à Sooqtra, la poterie est une activité féminine.
La nourriture des villageois et des paysans est essentiellement basée sur le millet et le riz (importé), le poisson séché, les produits laitiers et la viande du bétail. Dans le Mahra, les bédouins de la steppe font cuire leur viande et chauffent le lait avec des pierres chauffées à blanc que l’on pose sur la viande étalée sur le foyer de grosses pierres, ou que l’on jette dans le récipient contenant le lait. Les paysans fabriquent des fromages à partir du lait de leurs chèvres et les vendent aux villageois.
Dans les villages côtiers et les centres régionaux (Al-Ghayda au Yémen, Salalah en Oman), les Sudarabophones occupent des postes de fonctionnaires (armée, enseignement, personnel hospitalier (dont un certain nombre de sages-femmes)). Les Mahra ont la réputation d’être d’excellents marins et d’excellents commerçants. C’est en général au commerce que se livrent ceux de la diaspora, ils gardent des liens étroits avec les leurs et reviennent régulièrement au pays. Au Yémen et en Oman, ceux qui possèdent une voiture tout-terrain font du commerce entre les pays du Golfe et leur région. Quant aux Soqotri immigrés à ‘Ajman, ils constituent un effectif non négligeable de la police de cet émirat.
Tous les Sudarabophones sont musulmans, ils ont gardé cependant des traditions qui peuvent remonter à la période ante-islamique. On peut en détecter les traces dans certaines pratiques encore usitées surtout par les Bédouins et quelques communautés villageoises. Ainsi la médecine traditionnelle au Mahra, basée sur des incantations thérapeutiques (cf. bibliographie) destinées à attirer et extraire le mal du corps du malade. C’est un rituel collectif, sous forme de très long poème scandé de plus en plus vite et s’accompagnant de balancements du torse, de plus en plus rapides, il aboutit à la transe du malade et à l’expulsion du mal. La langue en est très conservatrice et très littéraire, le texte ne contient aucune formule religieuse rattachant cette coutume à l’islam. La médecine par application du fer rouge est encore pratiquée dans toute la zone, ainsi que le recours aux plantes médicinales. A Soqotra, le médecin-guérisseur pouvait utiliser en plus des pratiques magiques. Des textes relevés à Soqotra relatent des pratiques de sorcellerie encore en cours fin du 20ème siècle.
Dans le Mahra, le vêtement traditionnel des femmes consiste en une ample robe de couleur vive, elle s’arrête devant un peu en dessous des genoux ou au dessus de la cheville (selon la mode), et derrière forme une courte traîne. Les bords en sont brodés. Un pantalon, de type seroual, resserré et brodé aux chevilles, peut être porté dessous. Sur la tête, les cheveux sont enveloppés dans un foulard léger puis recouverts par une pièce de tissu qui entoure le visage, les épaules et retombe dans le dos. Ce foulard souvent importé du Kenya porte un nom swahili « kemkin ». Les bergères portent un masque de tissu et des mitaines aux mains.
Chez les femmes âgées les gencives son tatouées par de petits points, parfois la lèvre inférieure est entièrement bleuie par ce procédé. Des dessins au henné décorent le visage, les mains et les pieds. Le henné n’est jamais utilisé par les femmes pour teindre les cheveux. Ce sont les hommes qui en usent pour ne pas laisser paraître leurs cheveux blancs.
Pour protéger leur peau, les femmes préparent des onguents en pilant des écorces et des plantes ; elles s’oignent le visage, mais aussi les jambes et les bras.
A Soqotra, jusque dans les années 1995, les femmes portaient des robes chatoyantes, à manches courtes, terminée par une longue traîne qui, entourée autour de la taille, en fait un vêtement assez court s’arrêtant juste sous les genoux. La broderie, uniquement en fils argentés, qui orne le bas de la robe varie en richesse selon le statut de la femme. Une jeune fille n’a droit qu’à une étroite bande alors que la femme mariée se reconnaît à la large bande, parfois ornée de petits motifs floraux, du bas de son vêtement. Une simple mantille noire, décorée de fils d’argent, recouvre la tête ; pour sortir et se protéger du soleil, les femmes utilisaient un grand foulard qu’elles posaient seulement sur leur tête et dont les pans retombaient sur leurs épaules. Dans la ville de Hadibo, ce vêtement n’est plus de mise en dehors de la maison, les femmes sont désormais entièrement voilées de noir quand elles sortent de chez elles.
Les hommes portent une fouta (sorte de pagne qui enserre leurs hanches) et sur la tête un foulard de type keffieh de couleurs variées et dont les bords sont parfois ornés de pompons.
Précisions sociolinguistiques.
Les jeunes enfants parlent leur langue vernaculaire avec leurs parents, mais entre 8 ans et 18 ans, en ville, ils « oublient » peu à peu les traditions et la langue qui les transmet.
Tous les hommes en ville sont bilingues. Les arabophones sont monolingues et n’ont aucune connaissance, même passive, d’une langue sudarabique. Le développement économique rapide, les postes jugés comme plus prestigieux, les possibilités d’accès à un enseignement supérieur sont l’apanage des grands centres urbains où les populations arabophones sont monolingues et qui attirent les sudarabophones qui vivent dans des régions moins favorisées. La situation en Oman, dans l’important centre portuaire de Salalah est sûrement différente en raison de l’afflux de la main d’œuvre étrangère non arabophone qui semble privilégier l’anglais comme langue véhiculaire.
Beaucoup de jeunes gens partent tenter leur chance dans le nord ou dans les autres pays arabophones de la Péninsule. Les hommes au delà de 50-60 ans, ainsi que les femmes, ont encore à cœur de maintenir les traditions et parlent exclusivement leur langue maternelle avec leurs enfants. Elles n’ont que rarement recours à l’alternance de codes (sudarabique-arabe) dans leur parler, mais le contact avec l’arabe se fait aussi pour elles à travers les émissions, feuilletons et films en arabe, retransmis à la télévision par satellite dont elles sont des téléspectatrices assidues, même si elles ne comprennent pas bien (parfois pas du tout) l’arabe. Les hommes adultes ont souvent recours au mélange de codes (sudarabique-arabe) aussi bien dans leur langue vernaculaire que véhiculaire (cf. bibliographie). Parmi les hommes, ceux qui se déplacent régulièrement vers les autres régions sudarabophones connaissent souvent, outre l’arabe, au moins une langue sudarabique différente de la leur (exemple le mehri et le hobyot ou le jibbali), les interférences ne sont pas rares. La situation est différente dans l’arrière pays où les contacts avec les arabophones sont moins fréquents, mais la situation des années 80 est complètement révolue où il arrivait de rencontrer des Bédouins Mahra de passage en ville, ne connaissant pas même les formules de salutations en arabe. A Soqotra, les habitants hors de la capitale utilisaient les nombres et le système de comptage soqotri, y compris quand ils venaient vendre leurs produits à Hadibo, capitale de l’île. Dès les années 1990, avec l’arrivée de nombreux arabophones qui se sont installés là, tout le monde comptait en arabe dans la ville. Seules quelques poches plus protégées subsistent, dans des lieux isolés et difficiles d’accès, où les habitants utilisent leur langue maternelle continument, n’ont pas accès à la télévision, et ont peu de contacts avec les arabophones.
En dehors de l’arabe, sous ses différentes variétés, le mehri est aussi en contact avec les autres langues sudarabiques et leurs dialectes, en particulier dans la région frontalière entre le sultanat d’Oman et le Yémen où les déplacements et les contacts sont constants entre le mehri (dialecte du Dhofar), le hobyot et le jibbali. L’influence de ces deux dernières langues étant moindre dans la mesure où les locuteurs sudarabophones tiennent en plus haute estime le mehri que les deux autres langues.
En règle générale, le parler citadin est plus valorisé que le parler de la campagne et, au Yémen pour le mehri, c’est celui de Qishn, l’ancienne capitale historique, qui est le plus prisé. Cependant quand il s’agit de poésie, c’est le parler des Bédouins (gens de l’intérieur qui ont un mode de vie traditionnel) qui est réputé et que l’on cherche à imiter dans la création ou la transmission des œuvres littéraires.
Liens
http://llacan.vjf.cnrs.fr/pers/p_simeone.htm
http://mc.simeone-senelle.over-blog.com/
Bibliographie
Pour la bibliographie avant 1970, sur les langues sudarabiques modernes (et les références dans cette fiche à Bittner, Hein, Jahn , Müller, Wagner) voir :
Leslau, Wolf. 1946. Modern South Arabic Languages. A Bibliography. Bulletin of the New York Library. Vol. 50/8, p. 607-633.
et Robin, Christian. 1977. Bibliographie générale systématique. Corpus des Inscriptions et des Antiquités sud-arabes. Louvain, p. 89-99.
Ouvrages de référence sur les langues et les populations qui les parlent
Boxhall, P.G. 1966. Socotra: ‘Island of Bliss’. The Geographical Journal, vol. 132/2, June 1966, p. 214-224 + 4 p. de photos h.t.
Cheung, C. & L. De Vantier . 2006. Socotra. A Natural History of the Islands and their People. Scientific editor Kay Van damme. Hong Kong: Odyssey Books and Guides.
Doe, B., ed. 1992. Socotra. Island of Tranquillity, IMMEL: London, 237.
Johnstone, T.M. 1972. The Language of Poetry in Dhofar. BSOAS. Vol. 35/1, p. 1-17.
Johnstone, T.M. 1974. Folklore and Folk Literature in Oman and Socotra. Arab ian Studies. Vol. 1, p. 7-24.
Johnstone, T.M, T.M. 1975. The Modern South Arabian Languages. Afro-Asiatic Linguistics. Vol. 1/5, p. 93-121.
Johnstone, T.M. 1975a. Oath-talking and Vows in Oman. Arabian Studies. Vol. 2, p. 7-17.
Johnstone, T.M. 1976. Knots and Curses. Arabian Studies. Vol. 3, p. 79-83.
Johnstone, T.M. 1977. Harsusi Lexicon and English-Harsusi Word-List. London: Oxford University Press.
Johnstone, T.M. 1981. Jibbali Lexicon. London: Oxford University Press.
Johnstone, T.M. 1982. Language and society in Dhofar. Ur, the international Magazine of Arab Culture, II-III, p. 81-83.
Johnstone, T.M. 1986. Mahrii. Encyclopédie de l’Islam, n.e. Leiden: Brill, p. 82-83.
Johnstone, T.M. 1987. Mehri Lexicon and English-Mehri Word-List, with Index of the English Definitions in the Jibbali Lexicon, compiled by G. Rex Smith. London: SOAS.
King, J.S. 1890. The Aborigenes of Sokotra; an etnological, religious and philological Review. The Indian Antiquary, a Journal of Oriental Research. Vol. xix, p. 189 – 215.
Lonnet, A., Simeone-Senelle, M.-Cl. & S. MOHAMED-BAKHEIT. 1988. Un avatar sudarabique d’Abû Nuwâs. Cahiers de Littérature orale. Vol. La tradition au présent (Monde arabe), p. 219-231.
Lonnet, A. & M.-Cl. Simeone-Senelle. 1987. Râbût: Trance and Incantations in Mehri Folk Medicine. Proceedings of the Seminar for Arabian Studies. Vol. 17, p. 107-115.
Lonnet, A. & M.-Cl. Simeone-Senelle. 1997. La phonologie des langues sudarabiques modernes. in A.S. Kaye, Ed. Phonologies of Asia and Africa (Including the Caucasus). Winona Lake, Indiana: Eisenbrauns, p. 337-372.
Morris, M. 1983. Some Preliminary Remarks on a Collection of Poems and Songs of the Batahirah. Journal of Oman Studies. Vol. 6/1(6/1), p. 129-144.
Morris, M. 1985. A poem in Jibbaali. Journal of Oman Studies. Vol. 7, p. 121-130.
Morris, M. 1997. The harvesting of frankincensse in Dhofar, Oman. in A. Avanzini, Ed. Profumi d’Arabia, atti del convegno (Saggi Di Storia Antica 11). Roma: « L’ERMA » di Bretschneider, p. 231-247.
Morris, M. 2002. Soqotra. in S. Searight, Ed. Yemen. Land and People. Pallas Athene. UK, p. 133-145.
Morris, M. 2005. Soqotra: the poem of ‘Abduh and Hammudi by Ali Abdullah al Rigdihi. Arabia Felix. Moscow: Sciences Academy of Russia, p. 354-370.
Naumkin, V.V. 1988. Sokotrijcy, istoriko-etnograficekij ocerk [The Socotrans: A Historical and ethnographical Study]. Moscou: Nauka.
Naumkin, V.V. 1993. Island of the Phoenix. An ethnographic Study of the People of Socotra. Reading: Ithaca Press.
Naumkin, V.V. & V. Porkhomovosky. 1981. Ocerki po etnolingvistike sokotry [Essays on Ethnolinguistics of Socotra]. Moscou: Nauka.
Naumkin, V. & V. Porkhomovosky. 1996. Sheep and Goat in Socotran Mythology. Proceedings of the Seminar for Arabian Studies. Vol. 26, p. 115-124.
Naumkin, V. & V. Porkhomovosky. 2000. The Serpent in the traditional culutre of Mahra and Socotra. Proceedings of the Seminar for Arabian Studies. Vol. 30- 2000, p. 151-156.
Sima, A.2002. Der bestimmte Artikel im Mehri. in W. Arnold, Ed. Sprich doch mit deinen Knechten aramaïsch, wir verstehen es! » 60 Beiträge zur Semistik. Festschrift für Otto Jastrow zum 60. Geburstag. Wiesbaden: Harrassowitz, p. 647-668.
Sima, A. 2005. 101 Sprichwörter und Redensarten im Mehri-Dialect von Hawf. ZAL. Vol. 4, p. 71-93.
Sima, A. 2009. Mehri-Texte aus der jemenitischen Šarqiyah transkribiert unter Mitwirkung von ‘Askari Hugayran Sa’d bearbeitet und herausgegeben von Janet C.E. Watson und Werner Arnold. Wiesbaden: Harrassowitz..
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1987. ‘A-t-il plu à Soqotra?’, Autrement [Les royaumes disparus. Corne de l’Afrique], hors série n°21 : 54-59.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1991. Récents développements des recherches sur les langues sudarabiques modernes. in Fifth International Hamito-Semitic Congress, 1987. Vienna: Beiträge zur Afrikanistik.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1991. Notes sur le premier vocabulaire soqotri: le Mémoire de Wellsted (1835). (Première partie). Matériaux Arabes et Sudarabiques. Vol. nov.ser.3, p. 91-135.
Simeone-Senelle, M.-Cl.. 1992. Notes sur le premier vocabulaire soqotri: le Mémoire de Wellsted (1835). (Deuxième partie). Matériaux Arabes et Sudarabiques. Vol. nov.ser.4, p. 4-77.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1994. Suqutra: parfums, sucs et résines. Saba. Vol. 2, p. 9-17.
Simeone-Senelle, M.-Cl.. 1994. Aloe and Dragon’s Blood, some Medicinal and Traditional Uses on the Island of Socotra. New Arabian studies. Vol. 2, p. 186-198.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1995. Incantations thérapeutiques dans la médecine traditionnelle des Mahra du Yémen. Quaderni di Studi Arabi. Vol. 13, p. 131-157.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1995. Magie et pratiques thérapeutiques dans l’île de Soqotra; le médecin-guérisseur. Proceedings of the Seminar for Arabian Studies. Vol. 25, p. 117-126.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1997. Sukutra. 3. Language. Encyclopaedia of Islam. Leiden: Brill, p. 809-811 & Sukutra. Langue. Encyclopédie de l’Islam. Leiden: Brill, p. 844-845.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1997. The Modern South Arabian Languages. in R. HETZRON, Ed. The Semitic Languages. London: Routledge, p. 379-423.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1998. La dérivation verbale dans les langues sudarabiques modernes. Journal of Semitic Studies(XLIII/1), p. 71-88.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1998. Les langues sudarabiques modernes: des langues sémitiques en danger. in B. Caron, Ed. 16th International Congress of Linguistics, 20-25 July 1997. Elsevier, p. CDRom Paper n°044.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1998. The Soqotri Language. in H. Dumont, Ed. Soqotra. Proceedings of the First International Symposium on Soqotra Island: Present & Future. New York: United Nations Publications, p. 309-321.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1998/99. Bilan et perspectives de recherches sur les langues sudarabiques modernes parlées au Yémen. Chroniques Yéménites. Sanaa, CFEY: 87-94.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 1999. Enquête au pays de l’encens, de l’aloès et du sang-dragon sur les langues sudarabiques modernes. Le Gré des Langues, n°15: 58-71.
Simeone-Senelle, Marie-Claude. 2001. La langue soqotri, une richesse méconnue de Soqotra, Chroniques Yéménites 9: en ligne: http//cy.revues.org.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 2002. Les langues sudarabiques modernes à l’aube de l’an 2000: Evaluation des connaissances. in S. Izre’el, Ed. Semitic Linguistics: The state of the art at the turn of the 21st Century. Israel Oriental Studies XX. Tel Aviv: Eisenbrauns, p. 379-400.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 2002. Une version soqotri de la légende de Abu Shawârib. in J.H.a.V. Porter., Ed. Studies on Arabia in Honour of Professor Rex G. Smith. Journal for Semitic Studies. Supplement 14. Oxford: Oxford University Press/ University of Manchester, p. 227-242.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 2002. L’arabe parlé dans le Mahra (Yémen). in Sprich doch mit deinen Knechten aramaïsch, wir verstehen est! ». 60 Beiträge zur Semistik. Festschrift für Otto Jastrow zum 60. Geburstag. W. Arnold. &. H. Bobzin (eds). Wiesbaden, Harrassowitz: 669-684.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 2004. Soqotri dialectology, and the evaluation of the language endangerment. in Univerity of Aden (ed.) Proceedings of the Second Scientific Symposium on the Developing Strategy of Soqotra Archipelago and the other Yemeni Islands, 14-16, Dec. 2003 in Aden. Aden: Unversity of Aden : 13 p.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 2010 (in press). Modern South Arabian, Ch. 67. in Semitic languages. Handbücher zur Sprach und Kommunikations Wissenschaft [HSK]. B. Karlson and al. (eds). Berlin, New York, Mouton de Gruyter.
Simeone-Senelle, M.-Cl. 2010 (in press). Les langues sudarabiques parlées au Yémen : mehri, hobyot, soqotri. Sanaa, CEFAS.
Simeone-Senelle, M.-Cl., avec la collaboration de S. Mohammed Bakheit. à paraître. Textes en mehri du Yémen, avec commentaires linguistiques. Wiesbaden: Harrasowitz.
Simeone-Senelle, M.-Cl., Lonnet, A. & S. Mohammed Bakheit.1984. Histoire de Said, Saida, la méchante femme et l’ange. Matériaux Arabes et Sudarabiques. Vol. 3, p. 237-268.
Stroomer, H. 1996. Mehri texts collected by the late Professor T.M. Johnstone. in S.I.e.e.S. Raz, Ed. Israel oriental Studies. XVI. Studies in Modern Semitic Languages. Leiden. New York. Köln: E.J. Brill, p. 271 – 288.
Stroomer, H. 1999. Mehri Texts from Oman. Based on the Field Materials of T.M. Johnstone. Wiesbaden: Harrassowitz.
Stroomer, H. 2004. Harsûsi Texts from Oman. Based on the Field Materials of T.M. Johnstone. Wiesbaden: Harrassowitz. Coll. Semitica Viva 34. xix + 236 p.
Si vous avez des informations complémentaires sur cette langue n'hésitez pas à nous contacter : contact@sorosoro.org