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Pourquoi la durée d’enseignement via la langue maternelle devrait-elle être de 6 à 8 ans ?
Posté le 4 décembre 2010
La sociolinguiste finlandaise Tove Skutnabb-Kangas est spécialiste, entre autres, de l’éducation multilingue.
La semaine dernière Tove expliquait pourquoi il était capital de scolariser les enfants dans leur langue maternelle en premier lieu, pour en faire des personnes « pensantes et cultivées ». L’exploration du sujet se poursuit ici sur le thème de la durée recommandée de l’enseignement via la langue maternelle, avec des expériences de terrain au Népal, en Ethiopie et en Inde.
Toutes les études menées à travers le monde montrent que plus l’enfant bénéficie d’une éducation essentiellement en langue maternelle de façon prolongée, plus il a de bons résultats dans toutes les matières scolaires, y compris dans la langue dominante du pays et les autres langues apprises à l’école.
Au Népal, dans tous les programmes d’éducation multilingue, les instituteurs connaissent tout à la fois la langue maternelle des enfants et le népalais. Ils enseignent donc le népalais comme langue seconde dès les premières années d’école primaire.
Ensuite, quand l’enfant possède un bon niveau de bilinguisme langue maternelle / népalais, il apprend d’autres langues plus rapidement et mieux que s’il apprend l’anglais alors qu’il est encore monolingue en langue maternelle. Il a besoin de moins d’années et de moins de mise en contact avec l’anglais pour bien le maîtriser.
Alors, quelle est la durée recommandée d’enseignement en langue maternelle ? Bien sûr, 3 ans donne de meilleurs résultats qu’un enseignement tout en népalais (ou, pire, en anglais), mais 3 ans, c’est insuffisant. Le minimum est en réalité de 6 ans, et 8 ans donne des résultats encore meilleurs.
En Ethiopie, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, le système d’éducation est décentralisé et 8 ans d’éducation en langue maternelle sont recommandés dans le cadre de l’éducation multilingue. Certains districts ont choisi de limiter l’enseignement en langue maternelle à 4 ou 6 ans. Une vaste étude qui compare des résultats sur l’ensemble du pays montre que les enfants qui ont bénéficié d’un enseignement essentiellement en langue maternelle pendant 8 ans, et qui ont étudié l’amharique (la langue dominante d’Ethiopie) et l’anglais en tant que matières, ont les meilleurs résultats en sciences, en mathématiques etc., mais aussi en anglais. Ceux qui ont changé de langue d’enseignement au bout de 6 ans ont de moins bons résultats, et ceux qui sont passés à un enseignement en anglais au bout de 4 ans de scolarité ont les résultats les pires, y compris en anglais.
En Inde, beaucoup d’études montrent que les enfants scolarisés dans des écoles privées de langue anglaise parlent mieux l’anglais, dans les premiers temps, que les enfants des écoles publiques en langue locale ou régionale. Mais au terme de 8 années, le niveau de connaissances des élèves en langue anglaise dans les différentes matières est inférieur à celui des écoles gouvernementales, et leur niveau d’anglais n’est pas meilleur. Il faut rajouter à cela qu’ils ne savent pas lire et écrire leur langue maternelle et ne possèdent pas le vocabulaire pour discuter de ce qu’ils ont appris dans quelque langue indienne que ce soit. Chemin faisant, ils ont donc sacrifié la maîtrise des langues indiennes et beaucoup de connaissances scolaires pour une compétence en langue anglaise qui n’est même pas de haut niveau. Ceci est dû en partie au fait que les compétences en anglais des enseignants ne sont généralement pas très élevées, mais aussi au fait que ces enfants n’ont pas été en mesure de développer un haut niveau de capacité cognitive et académique, ni dans leur langue maternelle ni en anglais.
Enfin, le nombre d’années passées dans un système éducatif basé sur l’apprentissage en langue maternelle est également plus important pour l’obtention de bons résultats que le niveau socio-économique des parents. Ceci implique que les programmes d’éducation multilingue contribuent à la réussite scolaire d’enfants issus de familles pauvres.
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