Imprimer |
Quand le monde académique s’engage auprès des populations…
Posté par Rozenn Milin le 2 avril 2010
Rozenn Milin est directrice de Sorosoro, journaliste et réalisatrice
Lors d’un voyage en Inde destiné à prospecter une éventuelle implantation de Sorosoro dans cette partie du monde, il m’a été donné de rencontrer des personnages réellement extra-ordinaires, comme on peut en croiser dans ces pays immenses et riches de leurs paradoxes.
Ganesh Devy est l’un de ceux-là, un être hors du commun, un universitaire qui a décidé de consacrer sa vie aux populations indigènes et aux langues du monde, un homme qui peut, aux fins fonds de l’Inde, discuter de Merleau-Ponty ou de Chomsky aussi bien que de pharmacopée traditionnelle ou de micro-crédit…
Formé à l’Université de Leeds, anciennement professeur à Yale, Ganesh est arrivé dans le Gujarat dans les années 90 pour y enseigner à l’Université de Boroda. Là, frappé de constater une sorte de barrière linguistique entre langues dravidiennes au sud et langues indo-aryennes au nord d’une ligne transversale allant du Gujarat à l’ouest jusqu’au Bengale à l’est du pays, il se met à parcourir cette ligne virtuelle. Et découvre que nombre de « tribus indigènes », ne relevant pas du système des castes pourtant omniprésent en Inde, se succèdent sur cette bande de quelques centaines de kilomètres de large.
Intrigué, il s’installe un jour sous un arbre et laisse venir à lui les jeunes du village, il leur pose des questions et les écoute parler de leur façon de voir leur avenir, de ce qu’il faudrait faire pour développer leurs communautés. Il quitte son poste de professeur et passe ainsi deux ans sous cet arbre à discuter et à imaginer un projet un peu fou, un projet d’Académie Adivasi, c’est-à-dire d’Académie indigène… Et, au fil des années, pas à pas, il y arrive ! Il trouve les fonds, fait construire des bâtiments en brique, les uns après les autres, qui abritent des salles de cours, des salles d’enregistrement de musique, un musée, des logements…
Aujourd’hui, dans cette « académie », les activités sont très diverses : enseignement, bien sûr, documentation des langues et des cultures indigènes, édition et publication, théâtre, activités artistiques et muséographiques, mais aussi artisanat, développement durable, micro-crédit… Le résultat est époustouflant : les jeunes qui, il y a 12 ou 15 ans, venaient parler à Ganesh sous son arbre exercent aujourd’hui des responsabilités au sein de l’académie. On sent ici une grande sérénité, une joie tranquille, un plaisir d’être ensemble et une fierté de montrer aux visiteurs de passage ce que l’on a accompli : un authentique centre de développement tout à la fois économique et culturel pour les populations autochtones.
Et puis, début mars, Ganesh a aussi organisé un grand rassemblement autour de l’idée de la diversité linguistique, un rassemblement qui a réuni des représentants de 320 langues d’Inde ! Durant cette manifestation, il a commencé à planter une « forêt de langues », un arbre pour chaque langue du monde, bien enraciné et cohabitant paisiblement avec tous ses voisins…
Mais il n’en restera pas là : en janvier 2011, il a bien l’intention de rassembler à Bododa 1100 langues du monde !!! Avec des films, du théâtre, des conférences… Et quand on lui demande comment il va faire pour financer une telle opération, il répond : « nous allons faire venir 5 Prix Nobel, et si nous les trouvons, les fonds suivront ». Bel optimisme, mais… il est bien fichu d’y arriver !! Et nous, nous y serons aussi, car j’ai bien dit à Ganesh que je voulais à mon tour planter un arbre pour ma langue, le breton, dans sa forêt…
*******************************************************************************
Pour en savoir plus
– sur l’académie : www.bhasharesearch.org.in
– sur la description et la documentation des langues indigènes d’Inde : www.adivasiacademy.org.in